samedi 24 mai 2014

En guise de Conclusion


Nous voulons conclure notre Analyse de cette semaine sur Albert Camus en ces termes:
 
« Celui qui désespère des événements est un lâche, mais celui qui espère en la condition humaine est un fou.  » (Albert Camus)

 
Camus a non seulement lutté contre la paresse de l’intelligence (son œuvre est comme l’ivresse de la lucidité), il s’est encore plus opposé à la paresse du cœur » écrivait Jean Grenier. Pour Albert Camus, la beauté du monde s’appréhende sur fond de vide, de néant. Écrivain d’un humanisme lucide, dramaturge et journaliste engagé qui a mis au service de ses idées son sens de la formule et le pouvoir de son langage, il a exploré, sous la triple forme du théâtre, du roman et de l’essai, ce qu’il a lui-même appelé le « cycle de l’absurde », et s’est s’interrogé sur la grandeur et la misère de l’homme contemporain. Parce que les genres littéraires traditionnels (romans, récits, théâtre, essais, etc.) paraissent ne plus pouvoir régir l’organisation de cette nouvelle édition, c’est la chronologie de publication des œuvres, tous genres confondus, qui a été retenue, et, à défaut de publication, la chronologie de rédaction. Chaque ouvrage propose des appendices comprenant, selon les cas, un choix d’ébauches tirées des manuscrits ou  des textes que Camus n’a pas fait paraître en tant que tels mais qui ont joué un rôle dans la genèse du livre publié ; des préfaces écrites par Camus à l’occasion d’éditions particulières ; ou encore des documents (lettres, entretiens, déclarations) dans lesquels il parle du livre concerné.

L’œuvre de Camus devrait donc se lire comme le dernier sursaut de la France coloniale. La vitalité négative qu’elle renferme (meurtres, morts à cause de la peste, absurde de la vie, etc.) serait en fait le fruit de cette société en train de disparaître. Outre une grande conscience morale, on y trouve une sorte de sentiment de gâchis et de tristesse. Il n’est pas étonnant, dès lors, qu’un livre comme La Chute, qui est l'un des derniers romans parus de son vivant, ait lui aussi un ton désabusé. Il met d’ailleurs en scène, non plus un assassin mais un juge. Il s’agit d’un juge étrange, à vrai dire, puisqu’il s’appelle lui-même juge-pénitent et qu’il officie dans un café sordide. En se critiquant lui-même, il amène son interlocuteur (qui n’intervient pas directement dans le livre et dont la présence n’est devinée que par les propos du juge, lequel semble s’adresser à une ombre, ombre qui est un peu son reflet à prendre conscience de ses propres méfaits. On dirait que Camus, dans ce livre, prend une distance ironique avec les grandes idées de liberté et d’humanisme qu’il a développées jusqu’ici. C’est comme s’il s’était rendu compte de la vanité de sa démarche, les hommes étant finalement mauvais par nature et lui aussi par ailleurs. Cette « chute » est-elle un aveu partiel de sa position ambiguë face au colonialisme ? A-t-elle au contraire pour but d’amener l’école existentialiste à reconnaître ses erreurs ? Est-elle simplement le message désabusé d’un homme qui sort de la jeunesse et qui commence à ne plus se faire beaucoup d’illusions sur la société ? Chaque lecteur y cherchera le message qu’il a envie d’y trouver car c’est finalement le propre de ces grandes œuvres d’être suffisamment imprécises et ambiguës pour laisser la place à différentes interprétations.

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