samedi 31 mai 2014

Gabriel Marcel, explication de sa philosophie et de sa foi

La philosophie de Gabriel Marcel est un existentialisme iconoclaste qui aboutit au Dieu chrétien. La vie éternelle se fonde sur l'amour envers l'être aimé. Si le public s’entête à méconnaître l’œuvre du philosophe Gabriel Marcel, c’est parce qu’elle est réputée difficile, voire confuse. Il suffirait pourtant de la mordre à la pulpe, en dépit de ses contours un peu rêches, pour en constater les multiples richesses.

La philosophie de Gabriel Marcel requiert en définitive plus d’empathie que d’analyse pour être comprise; en effet, son essence est d’ordre purement affectif (pour ne pas dire existentiel), et la bonté demeure irrémédiablement son dernier mot. Enfin, la grande question qui la traverse de part en part est la suivante: comment la foi peut-elle être objet d’analyse intelligible, alors même qu’elle transcende tout savoir?

L’amour, plus fort que la mort, conduit au christianisme

L’expérience subjective est le fondement de la philosophie de Gabriel Marcel (la perte de sa mère alors qu’il n’a que trois ans), et sa première leçon est la suivante: l’amour envers un être implique l’immortalité de ce dernier, car l’amour est affirmation d’éternité. Cette vérité première, discernable par tout un chacun, induit nécessairement l’espérance: lorsque j’aime totalement quelqu’un, j’espère (ne serait-ce qu’un instant) l’éternité de ce lien, la dilatation infinie de sa force. Or l’espérance est justement le fondement de la foi catholique, et l’amour est le message que professe Jésus.

De plus, la vie nous démontre que l’amour se manifeste par la dissolution du moi égoïste dans le "nous" unitaire… il est fusion, et c’est d’elle que procède le bonheur que l’on éprouve alors; la doctrine catholique ne dit pas autre chose: c’est dans le "nous" qu’on accède à l’être véritable. Gabriel Marcel soutient dès lors que la crucifixion et la résurrection sont seules capables de donner un sens à notre vie. En effet, l’amour trouve sa manifestation la plus forte dans le sacrifice pour ceux qu’on aime, pour qu’ils survivent; c’est la signification de la crucifixion de Jésus. Quant à la résurrection, elle est la concrétisation de l’espérance en l’immortalité du lien qui nous unit à ceux que l’on aime. Si l’amour est plus fort que la mort, la résurrection doit donc nécessairement être soutenue.
Ainsi, la Vérité est transcendante par essence, elle est affective avant que d’être rationnelle; et l’expérience olfactive de la musique nous le prouve: certaines mélodies sont inexplicablement porteuses de vérité, elles nous émeuvent profondément sans qu’elles n’aient le moindre contenu rationnel objectivable: la vérité ressort de l’affectif.

 
Contre le nihilisme, le pessimisme et le néant

 Avec Gabriel Marcel, il s’agit donc d’espérer. Dès lors, pessimisme et désespoir sont à proscrire absolument, car ils enfouissent l’être sous le néant, ils affirment le triomphe de la défaite. Le désespoir est au centre de notre condition: mort, malheurs, calamités… tout y invite, tout y conspire. Opter pour lui, c’est se résigner tandis que la vérité implique le courage et l’insoumission devant l’apparence des faits.

 Gabriel Marcel, un catholique ambigu

 Depuis sa première jeunesse, Gabriel Marcel adhère globalement au message chrétien. Selon lui, la foi est «l’évidence des choses non vues». La religion n’est pas un credo, un code de préceptes, mais plutôt la foi dans la valeur absolue de la vie. Cette conviction personnelle l’amène, à 40 ans, à se convertir à l’Eglise catholique et à écarter l’option protestante, qui n’incarne pas la plénitude de ce qu’est censé être le christianisme, à savoir une fidélité créatrice. Or, s’il insiste sur la réalité de la résurrection du Christ et des hommes, Gabriel Marcel s’écarte de la doctrine catholique sur un certain nombre de points. Premièrement, la foi n’appartiendrait pas à l’ordre du vérifiable, ce qui le pousse à rejeter le thomisme et les preuves de l’existence de Dieu officiellement accréditées par l’Eglise. D’autre part, son dégoût de l’Ancien Testament creuse une béance vertigineuse entre ses convictions et l’enracinement de l’Eglise dans le terreau du judaïsme originel. Enfin, Gabriel Marcel affirme que personne n’est censé prétendre avoir la foi, ce qui serait ramener cette dernière à un avoir, à une possession.

 Un philosophe de droite

 Gabriel Marcel se qualifie homme de droite, en raison de sa répugnance envers le socialisme immanentiste, et à cause de la négation du surnaturel par la gauche. Son dextrisme se veut cependant ouvert, au rebours de toute idée de crispation conservatrice. De ce fait, la générosité et la bonté sont au cœur de sa philosophie. L’homme de gauche se complaît à s’indigner, supposant les conditions réelles du monde tout autres qu’elles ne sont. Au risque d’être cynique, l’homme de droite appréhende la réalité dans toute sa complexité, sans oublier que le présent est toujours tributaire du passé. Ainsi, concernant l’introduction de l’art contemporain dans les églises, Gabriel Marcel affirme habilement: «S’il y a un domaine d’où l’esprit d’abstraction doit être banni, c’est certes bien celui-là»
A l’époque de la Guerre Froide, il choisit sans équivoque le camp occidental. D’autre part, il compare les révolutions à des crises pathologiques qui sont parfois nécessaires pour développer la croissance d’un organisme. Gabriel Marcel est nostalgique du passé; effrayé par la civilisation technocratique qui se profile, il regrette la fin du XIXe siècle, époque où le monde était «normalement constitué».

 Les limites de la philosophie de Gabriel Marcel

 La philosophie de Gabriel Marcel comporte un certain nombre de défauts qui altèrent quelque peu sa valeur:
-avant tout, le philosophe manque de rigueur logique dans son engagement catholique; son allergie envers l’Ancien Testament est inconciliable avec le message évangélique, annonçant l’accomplissement et non l’abolition de la Loi.

-l’œuvre laisse régulièrement apparaître la faible formation théologique de l’auteur.

-sa pièce maîtresse, le Journal métaphysique, est contradictoire et peu claire, comme le restera son œuvre en général.

vendredi 30 mai 2014

La Doctrine de Gabriel Marcel

On a appelé « existentialisme chrétien» la doctrine de Gabriel Marcel, bien que lui-même s'éloigne de la pensée existentialiste, au sens sartrien du mot. Introducteur de Kierkegaard, en France, il combat la notion de sujet abstrait, et s'attache à l'individu concret, qui a conservé ses attaches. « C'est la vie privée, et elle seule, qui présente le miroir où l'infini vient se refléter. » Son système est une « philosophie de l'incarnation, du dialogue et du mystère. » L'existence, c'est l'incarnation, c'est-à-dire le lien qui unit l'homme à son propre corps. « Etre incarné, c'est apparaître comme corps, comme ce corps-ci, sans pouvoir s'identifier à lui, sans pouvoir non plus s'en distinguer — identification et distinction étant des opérations corrélatives l'une de l'autre, mais qui ne peuvent s'exercer que dans la sphère des objets. » Dieu n'est pas un objet ; c'est un« Invérifiable absolu» ; il est « méta-problématique ». C'est par le dialogue, la communication, que Dieu et autrui nous sont révélés. Gabriel Marcel fait une distinction entre problème et mystère : « Le mystère est un problème qui empiète sur ses propres données.» Il pose le mystère ontologique, le mystère de l'être et en voit l'approche dans la connaissance de l'individu : « Plus nous saurons reconnaître l'être individuel en tant que tel, plus nous serons orientés et comme acheminés vers une saisie de l'être en tant qu'être. » Ce mystère s'éclaire par le recueillement et la piété, et a pour ouverture, la religion. Il combat aussi bien l'idéalisme, pensée pure, abstraite et universelle, que la technique, qui déshumanise l'homme. Membre de l'Institut, Gabriel Marcel est également dramaturge et critique dramatique.

 Œuvres principales : Journal métaphysique (1917), Etre et avoir (1933), Le monde cassé, suivi de Positions et approches concrètes du mystère ontologique (1933), Du refus à l'invocation (1940), Homo Viator (1944), Le mystère de l'Etre (1951), Les hommes contre l'humain (1951).\\

La pensée Marcellienne

 Pour Marcel, l'existence est l'expérience unique de toute conscience. L'homme la découvre comme engagée dans un monde et en même temps comme limitée par ce monde. Cette conscience pose des problèmes : on ne peut la diminuer à un mot ou à un concept déterminés. Cette difficulté à penser l'existence montre quoiqu'elle ne se réduit pas à la spéculation : la difficulté à penser surtout autrui en témoigne. De là, Marcel tire sa distinction célèbre entre problème et mystère : «Le problème est quelque chose qui barre la route. Il est tout entier devant moi. Au contraire, le mystère est quelque chose où je me trouve engagé, dont l'essence est , donc, de n'être pas tout entier devant moi» (Être et Avoir). L'existence sera par conséquent de l'ordre du mystérieux incapable de connaissance précise et conceptualisable comme en témoigne la méthode même de Marcel : un non-système.

Marcel critique le cogito cartésien et cette critique est le point de départ de sa pensée de la «co-présence» ou de l'«intersubjectivité» marcellienne. Pour lui, Descartes enferme le moi dans sa propre coquille : le «je pense» est un carcan dont nous ne saurions nous défaire. Il pose un handicap majeur principalement pour une relation envisageable à autrui. Si nous suivons Descartes nous ne ferons que représenter autrui ou monologuer sur lui. À partir de là, nous traiterions l'autre comme un «lui». C'est comme un «tu» qu'il faut le considérer, c'est-à-dire comme baignant dans une existence concrète.

Gabriel Marcel soutient par conséquent la thèse que c'est par autrui qu'il faut passer dans un premier temps pour revenir à soi : seul moyen pour saisir l'autre dans son originalité. Il est à rapprocher dans cette quête du mystère d'autrui d'Emmanuel Lévinas et de Martin Buber, philosophes et penseurs juifs, mais également, plus proche du christianisme de Karl Jaspers, une parenté (dans ce dernier cas) dont il s'est réclamée. Il a d'ailleurs aussi rencontré Lévinas dans sa vie, surtout lors d'un dialogue avec lui à l'Université Libre de Bruxelles en 1964.

En 1975 a été créée une association "Présence de Gabriel Marcel" qui sous la présidence d'honneur de Paul Ricœur rassemble tous ceux qui souhaitent faire rayonner sa pensée. A l'occasion du 10e anniversaire de la création de cette association s'est tenu un important colloque rassemblant de nombreuses personnalités : Joël Bouëssée, Simonne Plourde, René Davignon, Yves Ledure, Pierre Colin, le cardinal Jean-Marie Lustiger. La totalité des actes de ce colloque augmenté d'autres textes inédits à fait l'objet d'un numéro spécial de la revue Cité.

Gabriel Marcel fut habité par une assurance invincible : fondée sur l'amour, l'espérance doit triompher du désespoir. Et il appartient au philosophe de guider ses lecteurs sur le chemin de cette victoire. Penseur de l'être incarné, il fut particulièrement sensible aux liens que les rencontres créent entre ces êtres fragiles et inventifs que nous sommes. En amitié ou en amour, la fidélité créatrice ouvre aux existants le mystère de l'être. La métaphysique se laisse guider par la réflexion sur la sainteté : dès lors, les fils se nouent entre le donné le plus concret de l'existence et l'ouverture spirituelle la plus profonde. Dieu prend la figure du Toi absolu. C'est en lui et par lui que se fonde l'assurance d'une immortalité bienheureuse : « L'espérance n'est pas seulement une protestation dictée par l'amour, elle est une sorte d'appel, de recours éperdu à un allié qui est amour lui aussi. »

Gabriel Marcel a cherché à penser une foi qui transcende le savoir. Il fut ainsi le premier en France à construire, dans son « Journal métaphysique », une philosophie de l'existence, ouverte au mystère de l'être. Il se singularise par le lien qu'il établit, hors de tout dogmatisme, entre la recherche philosophique et la spiritualité chrétienne.  C'est au sein de notre monde effectif, marqué par les totalitarismes, que Gabriel Marcel a poursuivi ces orientations fondamentales. Dans le contexte chaotique et eschatologique de notre époque, il propose un humanisme chrétien dont l'espérance est le fil conducteur. Il garde ainsi toute la liberté du philosophe, soumis à cet esprit de vérité qui relativise toutes nos vérités particulières. En ce sens, il appartient bien au temps de la confrontation et du dialogue entre les religions.

mercredi 28 mai 2014

Existentialisme chretien

L’existentialisme chrétien est une école de pensée que l'on rattache souvent à l'œuvre du philosophe danois Søren Kierkegaard (1813–1855). Elle s'appuie sur trois affirmations majeures basées sur la compréhension unique qu'avait Kierkegaard du christianisme. La première est que l'univers est fondamentalement paradoxal, et que le plus grand paradoxe de tous est l'union transcendante de Dieu et de l'humain en la personne du Christ. La deuxième est qu'avoir une relation personnelle avec Dieu dépasse toutes les morales établies, les structures sociales et les normes communes établies. La troisième est que suivre les conventions sociales est essentiellement un choix esthétique personnel que font les individus.

 De la même façon, Kierkegaard croyait que chaque personne doit faire individuellement les choix qui réalisent sa propre existence. Aucune structure imposée – même des commandements bibliques – ne peut altérer la responsabilité des individus à chercher à plaire à Dieu de quelque façon personnelle et paradoxale qui puisse l'agréer. Chaque individu souffre l'angoisse de l'indécision (conception élargie de l'agnosticisme) jusqu'à ce qu'il fasse un « acte de foi » ou « saut de la foi » (leap of faith) et s'engage vis-à-vis d'un choix particulier. Chaque personne se trouve face à la responsabilité de son libre-arbitre ainsi qu'au fait qu'un choix, même mauvais, doit être fait pour que l'on puisse véritablement vivre.

 On retrouve parmi les existentialistes chrétiens des théologiens américains tels que Paul Tillich et européens tels que Karl Jaspers, et Gabriel Marcel et Paul Ricœur (à relativiser) du côté francophone, mais aussi, en Amérique du Nord, le philosophe canadien Jacques Lavigne. Karl Barth a ajouté aux idées de Kierkegaard la notion que le désespoir existentiel conduit l'individu à la conscience de la nature infinie de Dieu.

 Après Kierkegaard, l'existentialisme s'est développé par la suite dans la forme plus commune de l'existentialisme, celle des existentialismes athées de Nietzsche, Sartre et Camus, qui retenaient l'idée du choix personnel et de la responsabilité, mais écartaient la mise en lien personnelle avec Dieu.

 Kierkegaard entretenait également l'idée que tout être humain existe sur l'une des trois sphères (ou l'un des trois plans) de l'existence: l'esthétique, l'éthique et le religieux. La plupart des gens, vivent une vie esthétique dans l'immédiat du désir où rien n'a d'importance que les apparences, les plaisirs et le bonheur. C'est en accord avec les exigences de cette sphère que les gens suivent les conventions sociales. Kierkegaard considérait aussi la violation des conventions sociales pour des raisons personnelles (p.ex. pour la poursuite de la célébrité, de la réputation ou par esprit de rébellion) comme des choix esthétiques personnels. Bien plus petit est le nombre des gens qui vivent dans la sphère éthique, qui ont décidé de s'affirmer en tant qu'individus responsables, font de leur mieux pour faire les bonnes choses et voient plus loin que les superficielles amabilités et idées de la société. Chez Kierkegaard, évoluer sur la sphère de l'éthique inclut la possibilité d'une éthique de la situation bien menée, qui dérive des conventions sociales. La troisième et plus élevée des sphères est la sphère de la foi. Pour être dans la sphère de la foi, Kierkegaard estime qu'il faut donner l'entièreté de soi-même à Dieu, effort du christianisme authentique.
 L'existentialisme chrétien a notablement influencé l'évangélisme et le christianisme social, plus connu en France sous sa déclinaison de catholicisme social.

mardi 27 mai 2014

Partir du concept d’existence


Les philosophes de l’existence se distinguent essentiellement par leur conception de l’existence. Que faut-il entendre par « existence » ?

On parle souvent de l’être comme de ce qui est ou ce qui fait être quelque chose. Ce qu’on est, touché à son essence, à sa nature, à sa quiddité. Mais le fait qu’on est, c’est-à-dire, son acte d’être selon Aristote désigne son existence. Certains philosophes dont Platon pensent que sont d’abord donnés des êtres possibles, c’est-à-dire de pures essences. C’est à elles que s’ajouterait l’existence. Mais en réalité, une essence peut-elle être donnée sans existence ?

Il semble illusoire de prendre l’être possible pour de l’être, le possible n’est pas une essence. Ce n’est que l’idée d’une essence. Mais dans une philosophie où l’Idée est fondamentale, on peut conférer l’essence à l’idée d’une essence. Cette idée existe dans l’intelligence de celui qui le conçoit parce qu’il est. Alors que Sartre aurait préféré dire, il est parce qu’il existe. Si ce qu’on est (essence) existe en chaque être, c’est encore en lui qu’est le fait qu’il est (existence). C’est pourquoi Thomas d’Aquin écrivait que« l’existence est ce qu’il y a de plus intime en chaque chose et ce qu’il y a en toute chose de plus profond. » C’est par rapport à l’acception classique de l’existence que les existentialistes se positionneront.

 Le premier, Kierkegaard, serait parti de Hegel qui considérait l’existence comme une simple propriété de l’essence. Contrairement au maître, l’existentialisme de Kierkegaard soutient la primauté de l’existence sur l’essence. Exister pour l’homme, c’est être libre et responsable, c’est choisir, s’engager, se passionner. L’existant fait l’épreuve de l’angoisse par laquelle il scrute ses abîmes et butte contre le Transcendant.

 Pour Jaspers, le Dasein, c’est la condition humaine, le symbole de la Transcendance. L’existence est un déchirement entre notre présence dans le monde et notre aspiration à une transcendance. L’existence est un idéal de notre moi empirique, elle exprime notre possibilité la plus profonde qui ne se réalise pleinement que dans la communication. Mon existence la plus intime est incommunicable et indescriptible.

 Chez Sartre, on existe dans la mesure où on s’affirme, on se pose, on se choisit librement. Sinon, on cesse d’exister. L’essence, ce n’est pas ce qu’est une chose pour moi, mais c’est sa valeur. L’homme n’est d’abord rien, il n’est que ce qu’il se fait. C’est en cela que l’existence précède l’essence. L’existence de l’homme sartrien, c’est sa liberté. Son existentialisme qui replace l’essence dans l’existence veut partir de la subjectivité pour donner sens aux choses.

 Pour Gabriel Marcel, l’existence suppose la conscience comme signe de l’existence. Mon corps me permet de prendre conscience des existants qui alimentent ma connaissance, mon affectivité et mon action. Celui qui existe, c’est celui-là qui est conscient de son être. Mon existence propre est à peine de l’être, elle appelle l’être sans fin et sans limites. Sans nier le tragique de la vie et l’expérience de l’angoisse, de l’échec, de la solitude et de la mort, Gabriel Marcel propose à l’homme de faire une expérience existentielle qui l’achemine vers l’absolu.

 Pour Heidegger, les choses sont, tout simplement ; ce sont des étants. Seul l’homme existe. Sa philosophie est plus existentiale qu’existentielle. Car, contrairement à Jaspers et Sartre, il ne s’arrête pas à l’existence concrète mais veut déterminer les caractéristiques générales de l’existence : les structures ontologiques de l’existence. La description de l’être a pour but d’atteindre l’être même, ce qui est. La philosophie doit être une ontologie. Ce qui constitue l’être de l’homme c’est le temps, c’est la contingence, l’être-pour-la-mort. Etre et Temps de Heidegger prend le chemin de la question de l’être et de son élucidation par le temps.
C’était en quelques jets et à grands traits une première peinture de l’existentialisme. Ces différentes approches du concept d’existence ne cessent d’éclairer rétrospectivement la continuité d’un courant philosophique composite et riche de nuances. L’atelier des concepts reviendra sur l’existentialisme athée et l’existentialisme chrétien dans leurs sinuosités et harmoniques distinctives, un parallèle  soumis cette semaine à notre analyse.

Postmodernisme et post-structuralisme

La philosophie postmoderne est particulièrement identique au post-structuralisme. Considérer les deux comme semblables ou principalement différents dépend le plus souvent de l'implication personnelle vis-à-vis de ces questions. Les personnes opposées au postmodernisme ou au post-structuralisme rassemblent fréquemment les deux en un.  De l'autre côté, les partisans de ces doctrines font des distinctions plus subtiles.  Jacques Derrida, dans L'écriture et la différence, (surtout l'article «Force et signification»), 1967, part du structuralisme pour mieux le dépasser dans sa propre théorie de l'écriture et de l'invention littéraire.

Le livre "Les mots et les choses" de Michel Foucault a été associé au structuralisme, mais l'auteur lui-même a nié représenter ce courant intellectuel.

 

Critiques de la philosophie postmoderne

La méthode d'écriture employée par les philosophes postmodernes a été critiquée de manière virulente par les physiciens Alan Sokal et Jean Bricmont. Alan Sokal, contestant l'usage – selon lui abusif ou inapproprié – de termes issus des sciences-physiques dans un contexte philosophique ou social, produisit un faux construit à partir de citations tirées d'ouvrages ou d'articles reconnus comme «postmodernes». Il soumit cet article à la revue Social Text qui l'accepta. Il révéla la supercherie dans un second article. Cette publication déclencha une controverse connue sous le nom d'«affaire Sokal». Les deux auteurs d'Impostures intellectuelles (1997) furent soutenus dans leur démarche par d'autres intellectuels et surtout par le linguiste Noam Chomsky et le philosophe Jacques Bouveresse. Les philosophes mis en cause contestèrent la méthode et soutinrent que la condition de physicien d'Alan Sokal ne lui permettait pas d'appréhender la portée symbolique ou métaphorique de l'usage de termes physiques ou mathématiques. Bruno Latour publie en 1991 Nous n'avons jamais été modernes : Essai d'anthropologie symétrique en s'inscrivant dans une tradition philosophique qu'il qualifie de «non-moderne», par opposition aux modernes ainsi qu'aux postmodernes.

lundi 26 mai 2014

Existentialisme et Philosophie postmoderne

Si le chemin qui mène à la vraie philosophie ne peut être parcouru sans que l'on ait surmonté l'erreur fondamentale, et si celui qui ne s'en est pas consciemment débarrassé retombe toujours à nouveau dans cette erreur, l'œuvre de Descartes durera à jamais, bien qu'on en ait découvert les dessous. Il faut connaître cette œuvre pour faire de la philosophie, autrement on ne serait pas protégé contre ces illusions et ces apparences si séduisantes dont on devient facilement la proie. Il faut profondément méditer les erreurs, commises avec tant de logique, pour éviter leur répétition et pour mettre la pensée à l'épreuve. C'est pourquoi l'étude de Descartes est indispensable. On voit chez lui la source et le commencement de ce qui, après lui, apparaît comme l'ennemi héréditaire de la philosophie; et on les voit même là où on croit être d'accord avec la vérité qui lui est propre. Descartes est une fatalité historique dans ce sens et quiconque fait de la philosophie est obligé de décider, chacun pour soi, de quelle manière il faut s'approprier Descartes.

 Pour nous, l'importance de ce philosophe résulte, en outre, du fait que même la manière de l'attaquer traduit encore l'estime pour lui. Cette opposition, ainsi qu'on le sait, est presque universelle; mais on n'est d'accord qu'en ce qui concerne le négatif. Les motifs de cette opposition contre Descartes sont si hétérogènes que ses adversaires luttent nécessairement entre eux-mêmes dès qu'ils luttent contre lui. Grâce à Descartes, on peut parvenir à la clarté d'une philosophie susceptible de combattre précisément les attaques erronées qui se dirigent contre lui.
La philosophie postmoderne sert à désigner un ensemble de discours et de travaux apparus en majorité dans les années 1960, surtout en France. Cette appellation, héritée en particulier de la conception qu'une époque avait de sa condition (postmodernité), et popularisée surtout par le philosophe J. -F. Lyotard, regroupe des pensées qui développent une forte critique de la tradition et de la rationalité propres à la modernité occidentale, et qui proposent des manières nouvelles de questionner les textes et l'histoire, influencées surtout par le marxisme, la critique kierkegaardienne et nietzschéenne de la rationalité, la phénoménologie de Husserl et de Heidegger, la psychanalyse de Freud et de Lacan, le structuralisme de Lévi-Strauss, mais également par la linguistique et la critique littéraire.

On inclut fréquemment derrière cette appellation les philosophies de Foucault, de Deleuze et de Derrida, mais également de Althusser, Castoriadis, Lyotard, Baudrillard, Guattari, Nancy, Lacoue-Labarthe en France, Feyerabend, Cavell, Rorty, Butler, Ronell aux États-Unis et quelques autres qui ont en commun une posture de critique et de méfiance, de liberté ou alors de rupture vis-à-vis des traditions idéologiques de la modernité en Occident. L'unité de ces pensées, comme le nom sous lequel on les regroupe, soulève cependant de nombreux  désaccords. Ainsi Foucault refusait pour sa part l'appellation «postmoderne», se revendiquant plutôt de la modernité.  Il est à souligner que la philosophie postmoderne est fréquemment confondue à tort avec le postmodernisme qui est un mouvement artistique.

L’idée principale de l’existentialisme est que l’existence précède l’essence.  Cela signifie que les êtres humains n’ont pas de valeur avant leur existence : ni valeur, ni bonté, ni but.  Il n’y a pas de raison fondamentale de notre existence. Au début, nous existons, puis nous devenons les êtres distincts. Le corollaire de cette idée est que notre essence est déterminée par nos choix et nos actes.  Nous sommes des êtres libres, donc la façon dont nous agissons montre vraiment qui nous sommes.  Cette idée du choix est primordiale pour Sartre.  Il la souligne avec beaucoup d’insistance: nous sommes responsables de nos actes, de nos choix, et réellement de ce que nous sommes.  Ceci explique pourquoi Sartre était si engagé politiquement, et pourquoi dans ses dernières années, il est devenu plus activiste qu’existentialiste. Une autre idée que Sartre développe est celle du néant.  Le néant est l’absence qui nous précède parce que nous n’avons pas d’essence hors de l’action.  Ce néant est la capacité de penser quelque chose que nous ne croyons pas ; l’indépendance de nos pensées est cette sorte de néant, connu sous le vocable de néant intimidant.

Pour les existentialistes, il n’y a pas de Dieu ni de nature humaine.   Nos choix sont ce qui nous détermine, mais qui est-ce qui guide le monde ? Pour les existentialistes, personne.  Le monde est indifférent et hostile.  L’essence du monde est déterminée par hasard, et les actes du monde sont aussi déterminés par hasard. À la fin, nous voyons le monde, qui est souvent cruel, et nous, qui sommes indépendants et libres.  La vie est difficile en ce monde: nos actes doivent affronter le hasard, le hasard indifférent qui règle le monde.  Cette vie est absurde parce qu’elle est dictée par hasard.  Nous n’avons qu’un peu de pouvoir, et ce pouvoir n’est rien contre le hasard de l’univers.
 
 Définir l’existentialisme
 
S’il est un mot qui semblait s’annoncer par lui-même sans erreur possible, affirme Emmanuel Mounier, c’est bien celui d’existentialisme. Mais quand il quitte la société des philosophes pour se lancer dans le monde, il va justement désigner une vogue qui fait du néant l’étoffe de l’existence. Que doit-on entendre par existentialisme chez les philosophes ? C’est la question qui nous met en mouvement. Le souci de la simplicité et de la clarté guidera nos pas à la rencontre des principaux acteurs de ce mouvement de pensée. Nous nous contenterons d’introduire aujourd’hui au concept, dans l’espoir d’aborder prochainement ce qu’on pourrait appeler les existentialismes.

L’existentialisme est l’une des doctrines philosophiques les plus importantes de notre époque.  Il considère l’homme comme un être responsable de son destin : il crée le sens et l’essence de son existence. L’existentialisme s’adosse à une longue galerie d’ancêtres. Même si le concept est d’un emploi récent dans l’histoire de la pensée, son objectif a été énoncé depuis l’antiquité grecque. Depuis « le connais-toi toi-même » de Socrate, ou le message stoïcien de l’affrontement de son propre destin, l’histoire de la philosophie a été jalonnée d’une série de réveils existentialistes, qui ont été pour la pensée autant de conversions à elle-même, de retours à sa mission originelle.
Cette philosophie de l’homme porte sur trois grandes questions que sont l’action, la croyance et l’existence. L’existentialisme français a connu un rayonnement particulier dans le monde. Mais ses représentants sont tributaires de penseurs allemands comme Edmund Husserl, Martin Heidegger, Karl Jaspers… A preuve, l’existentialisme de Gabriel Marcel s’apparente à celle de Karl Jaspers, tandis que celui de Sartre est proche de Heidegger. La phénoménologie a constitué une source d’inspiration énorme pour l’existentialisme. Emmanuel Mounier définit l’existentialisme « comme une réaction de la philosophie de l’homme contre les excès de la philosophie des idées et de la philosophie des choses ». Cette conception de l’existentialisme nous permet de scinder l’existentialisme en deux principales branches : l’existentialisme athée de Heidegger et Sartre et l’existentialisme chrétien dont Gabriel Marcel est le plus grand représentant. L’on aurait pu leur ajouter une branche, celle de l’existentialisme marxiste, mais il est plus commode de la rattacher aux athées car leur position dépend largement de la doctrine de Karl Marx.
 
L’existentialisme spiritualiste et L’existentialisme athée
 
Dans le courant athée, Jean Paul Sartre a caractérisé l’existentialisme comme la doctrine d’après laquelle « chez l’homme et chez l’homme seul, l’existence précède l’essence » Pour lui, nous existons avant d’avoir une essence déterminée, c’est-à-dire avant d’être ceci ou cela, gentil ou opiniâtre, par exemple. De plus, l’existentialisme en tant qu’un humanisme n’est pas autre chose qu’un effort pour tirer toutes les conséquences d’une position athée cohérente. Cette définition est dans une certaine mesure propre à Jean-Paul Sartre mais elle permet de fixer quelques caractéristiques générales (communes) de l’existentialisme.
 
    • L’existentialisme est une philosophie centrée sur l’homme et non sur le monde matériel (comme la philosophie des présocratiques ou de Descartes) ou encore sur Dieu considéré comme le fondement de toute réalité et de toute vérité.
    • Cette philosophie considère l’homme existant, dans sa réalité concrète, en situation dans le monde, et non l’essence générale de l’homme et la nature humaine qui ne sont que des abstractions. De ce point de vue, l’existentialisme s’oppose à la science qui n’a pour objet que le général. L’existentialisme étudie l’homme concret en situation et en devenir.
    • Le courant existentialiste est aussi une philosophie de la liberté tenue pour la caractéristique fondamentale de l’homme. Les autres vivants sont prédéterminés dans leur germe par rapport à ce qu’ils seront. Mais l’homme ne peut être empêché de se déterminer par son hérédité ou par l’action de son milieu.
    • L’existentialisme est aussi particulièrement sensible aux expériences tragiques d’inquiétude, d’échec, de mort, à travers lesquelles nous opérons la saisie de notre existence.
     
Tandisqu’au sein du courant existentialiste chrétien, il y a une philosophie proprement existentielle. On peut distinguer les existentialistes spiritualistes et les existentialistes essentialistes qui proclament la primauté de l’essence sur l’existence. La philosophie des spiritualistes est « existentielle », plutôt qu’existentialiste, en ce sens que leur mentalité est existentialiste mais leur doctrine existentielle. Dans le courant existentialiste, la tendance la plus spiritualiste est celle de Gabriel, et la plus essentialiste est défendue par Louis Lavelle. Emmanuel Mounier, le fondateur de la revue "Esprit milita" pour le personnalisme, peut être rapproché des spiritualistes. Ce système philosophique particulier peut se considérer comme le fond commun de tous les existentialismes qui reconnaissent la valeur inaliénable de la personne humaine.
 
En général, existentialisme et essentialisme se comportent en frères ennemis. N’est-il pas possible d’envisager entre  eux un rapport sans l’idée de prééminence de l’un sur l’autre ? Pour mieux comprendre les courants existentialistes, il faut saisir comment ils conçoivent l’existence.