La pensée Marcellienne
Marcel critique le cogito cartésien
et cette critique est le point de départ de sa pensée de la «co-présence» ou de
l'«intersubjectivité» marcellienne. Pour lui, Descartes enferme le moi dans sa
propre coquille : le «je pense» est un carcan dont nous ne saurions nous
défaire. Il pose un handicap majeur principalement pour une relation
envisageable à autrui. Si nous suivons Descartes nous ne ferons que représenter
autrui ou monologuer sur lui. À partir de là, nous traiterions l'autre comme un
«lui». C'est comme un «tu» qu'il faut le considérer, c'est-à-dire comme
baignant dans une existence concrète.
Gabriel Marcel soutient par
conséquent la thèse que c'est par autrui qu'il faut passer dans un premier
temps pour revenir à soi : seul moyen pour saisir l'autre dans son originalité.
Il est à rapprocher dans cette quête du mystère d'autrui d'Emmanuel Lévinas et de
Martin Buber, philosophes et penseurs juifs, mais également, plus proche du
christianisme de Karl Jaspers, une parenté (dans ce dernier cas) dont il s'est
réclamée. Il a d'ailleurs aussi rencontré Lévinas dans sa vie, surtout lors
d'un dialogue avec lui à l'Université Libre de Bruxelles en 1964.
En 1975 a été créée une association
"Présence de Gabriel Marcel" qui sous la présidence d'honneur de Paul
Ricœur rassemble tous ceux qui souhaitent faire rayonner sa pensée. A
l'occasion du 10e anniversaire de la création de cette association s'est tenu
un important colloque rassemblant de nombreuses personnalités : Joël Bouëssée,
Simonne Plourde, René Davignon, Yves Ledure, Pierre Colin, le cardinal
Jean-Marie Lustiger. La totalité des actes de ce colloque augmenté d'autres
textes inédits à fait l'objet d'un numéro spécial de la revue Cité.
Gabriel Marcel fut habité par une
assurance invincible : fondée sur l'amour, l'espérance doit triompher du
désespoir. Et il appartient au philosophe de guider ses lecteurs sur le chemin
de cette victoire. Penseur de l'être incarné, il fut particulièrement sensible
aux liens que les rencontres créent entre ces êtres fragiles et inventifs que
nous sommes. En amitié ou en amour, la fidélité créatrice ouvre aux existants le
mystère de l'être. La métaphysique se laisse guider par la réflexion sur la
sainteté : dès lors, les fils se nouent entre le donné le plus concret de
l'existence et l'ouverture spirituelle la plus profonde. Dieu prend la figure
du Toi absolu. C'est en lui et par lui que se fonde l'assurance d'une
immortalité bienheureuse : « L'espérance n'est pas seulement une protestation
dictée par l'amour, elle est une sorte d'appel, de recours éperdu à un allié
qui est amour lui aussi. »
Gabriel Marcel a cherché à penser
une foi qui transcende le savoir. Il fut ainsi le premier en France à
construire, dans son « Journal métaphysique », une philosophie de l'existence,
ouverte au mystère de l'être. Il se singularise par le lien qu'il établit, hors
de tout dogmatisme, entre la recherche philosophique et la spiritualité
chrétienne. C'est au sein de notre monde
effectif, marqué par les totalitarismes, que Gabriel Marcel a poursuivi ces
orientations fondamentales. Dans le contexte chaotique et eschatologique de
notre époque, il propose un humanisme chrétien dont l'espérance est le fil
conducteur. Il garde ainsi toute la liberté du philosophe, soumis à cet esprit
de vérité qui relativise toutes nos vérités particulières. En ce sens, il
appartient bien au temps de la confrontation et du dialogue entre les
religions.
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