vendredi 30 mai 2014

La Doctrine de Gabriel Marcel

On a appelé « existentialisme chrétien» la doctrine de Gabriel Marcel, bien que lui-même s'éloigne de la pensée existentialiste, au sens sartrien du mot. Introducteur de Kierkegaard, en France, il combat la notion de sujet abstrait, et s'attache à l'individu concret, qui a conservé ses attaches. « C'est la vie privée, et elle seule, qui présente le miroir où l'infini vient se refléter. » Son système est une « philosophie de l'incarnation, du dialogue et du mystère. » L'existence, c'est l'incarnation, c'est-à-dire le lien qui unit l'homme à son propre corps. « Etre incarné, c'est apparaître comme corps, comme ce corps-ci, sans pouvoir s'identifier à lui, sans pouvoir non plus s'en distinguer — identification et distinction étant des opérations corrélatives l'une de l'autre, mais qui ne peuvent s'exercer que dans la sphère des objets. » Dieu n'est pas un objet ; c'est un« Invérifiable absolu» ; il est « méta-problématique ». C'est par le dialogue, la communication, que Dieu et autrui nous sont révélés. Gabriel Marcel fait une distinction entre problème et mystère : « Le mystère est un problème qui empiète sur ses propres données.» Il pose le mystère ontologique, le mystère de l'être et en voit l'approche dans la connaissance de l'individu : « Plus nous saurons reconnaître l'être individuel en tant que tel, plus nous serons orientés et comme acheminés vers une saisie de l'être en tant qu'être. » Ce mystère s'éclaire par le recueillement et la piété, et a pour ouverture, la religion. Il combat aussi bien l'idéalisme, pensée pure, abstraite et universelle, que la technique, qui déshumanise l'homme. Membre de l'Institut, Gabriel Marcel est également dramaturge et critique dramatique.

 Œuvres principales : Journal métaphysique (1917), Etre et avoir (1933), Le monde cassé, suivi de Positions et approches concrètes du mystère ontologique (1933), Du refus à l'invocation (1940), Homo Viator (1944), Le mystère de l'Etre (1951), Les hommes contre l'humain (1951).\\

La pensée Marcellienne

 Pour Marcel, l'existence est l'expérience unique de toute conscience. L'homme la découvre comme engagée dans un monde et en même temps comme limitée par ce monde. Cette conscience pose des problèmes : on ne peut la diminuer à un mot ou à un concept déterminés. Cette difficulté à penser l'existence montre quoiqu'elle ne se réduit pas à la spéculation : la difficulté à penser surtout autrui en témoigne. De là, Marcel tire sa distinction célèbre entre problème et mystère : «Le problème est quelque chose qui barre la route. Il est tout entier devant moi. Au contraire, le mystère est quelque chose où je me trouve engagé, dont l'essence est , donc, de n'être pas tout entier devant moi» (Être et Avoir). L'existence sera par conséquent de l'ordre du mystérieux incapable de connaissance précise et conceptualisable comme en témoigne la méthode même de Marcel : un non-système.

Marcel critique le cogito cartésien et cette critique est le point de départ de sa pensée de la «co-présence» ou de l'«intersubjectivité» marcellienne. Pour lui, Descartes enferme le moi dans sa propre coquille : le «je pense» est un carcan dont nous ne saurions nous défaire. Il pose un handicap majeur principalement pour une relation envisageable à autrui. Si nous suivons Descartes nous ne ferons que représenter autrui ou monologuer sur lui. À partir de là, nous traiterions l'autre comme un «lui». C'est comme un «tu» qu'il faut le considérer, c'est-à-dire comme baignant dans une existence concrète.

Gabriel Marcel soutient par conséquent la thèse que c'est par autrui qu'il faut passer dans un premier temps pour revenir à soi : seul moyen pour saisir l'autre dans son originalité. Il est à rapprocher dans cette quête du mystère d'autrui d'Emmanuel Lévinas et de Martin Buber, philosophes et penseurs juifs, mais également, plus proche du christianisme de Karl Jaspers, une parenté (dans ce dernier cas) dont il s'est réclamée. Il a d'ailleurs aussi rencontré Lévinas dans sa vie, surtout lors d'un dialogue avec lui à l'Université Libre de Bruxelles en 1964.

En 1975 a été créée une association "Présence de Gabriel Marcel" qui sous la présidence d'honneur de Paul Ricœur rassemble tous ceux qui souhaitent faire rayonner sa pensée. A l'occasion du 10e anniversaire de la création de cette association s'est tenu un important colloque rassemblant de nombreuses personnalités : Joël Bouëssée, Simonne Plourde, René Davignon, Yves Ledure, Pierre Colin, le cardinal Jean-Marie Lustiger. La totalité des actes de ce colloque augmenté d'autres textes inédits à fait l'objet d'un numéro spécial de la revue Cité.

Gabriel Marcel fut habité par une assurance invincible : fondée sur l'amour, l'espérance doit triompher du désespoir. Et il appartient au philosophe de guider ses lecteurs sur le chemin de cette victoire. Penseur de l'être incarné, il fut particulièrement sensible aux liens que les rencontres créent entre ces êtres fragiles et inventifs que nous sommes. En amitié ou en amour, la fidélité créatrice ouvre aux existants le mystère de l'être. La métaphysique se laisse guider par la réflexion sur la sainteté : dès lors, les fils se nouent entre le donné le plus concret de l'existence et l'ouverture spirituelle la plus profonde. Dieu prend la figure du Toi absolu. C'est en lui et par lui que se fonde l'assurance d'une immortalité bienheureuse : « L'espérance n'est pas seulement une protestation dictée par l'amour, elle est une sorte d'appel, de recours éperdu à un allié qui est amour lui aussi. »

Gabriel Marcel a cherché à penser une foi qui transcende le savoir. Il fut ainsi le premier en France à construire, dans son « Journal métaphysique », une philosophie de l'existence, ouverte au mystère de l'être. Il se singularise par le lien qu'il établit, hors de tout dogmatisme, entre la recherche philosophique et la spiritualité chrétienne.  C'est au sein de notre monde effectif, marqué par les totalitarismes, que Gabriel Marcel a poursuivi ces orientations fondamentales. Dans le contexte chaotique et eschatologique de notre époque, il propose un humanisme chrétien dont l'espérance est le fil conducteur. Il garde ainsi toute la liberté du philosophe, soumis à cet esprit de vérité qui relativise toutes nos vérités particulières. En ce sens, il appartient bien au temps de la confrontation et du dialogue entre les religions.

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