samedi 31 mai 2014

Gabriel Marcel, explication de sa philosophie et de sa foi

La philosophie de Gabriel Marcel est un existentialisme iconoclaste qui aboutit au Dieu chrétien. La vie éternelle se fonde sur l'amour envers l'être aimé. Si le public s’entête à méconnaître l’œuvre du philosophe Gabriel Marcel, c’est parce qu’elle est réputée difficile, voire confuse. Il suffirait pourtant de la mordre à la pulpe, en dépit de ses contours un peu rêches, pour en constater les multiples richesses.

La philosophie de Gabriel Marcel requiert en définitive plus d’empathie que d’analyse pour être comprise; en effet, son essence est d’ordre purement affectif (pour ne pas dire existentiel), et la bonté demeure irrémédiablement son dernier mot. Enfin, la grande question qui la traverse de part en part est la suivante: comment la foi peut-elle être objet d’analyse intelligible, alors même qu’elle transcende tout savoir?

L’amour, plus fort que la mort, conduit au christianisme

L’expérience subjective est le fondement de la philosophie de Gabriel Marcel (la perte de sa mère alors qu’il n’a que trois ans), et sa première leçon est la suivante: l’amour envers un être implique l’immortalité de ce dernier, car l’amour est affirmation d’éternité. Cette vérité première, discernable par tout un chacun, induit nécessairement l’espérance: lorsque j’aime totalement quelqu’un, j’espère (ne serait-ce qu’un instant) l’éternité de ce lien, la dilatation infinie de sa force. Or l’espérance est justement le fondement de la foi catholique, et l’amour est le message que professe Jésus.

De plus, la vie nous démontre que l’amour se manifeste par la dissolution du moi égoïste dans le "nous" unitaire… il est fusion, et c’est d’elle que procède le bonheur que l’on éprouve alors; la doctrine catholique ne dit pas autre chose: c’est dans le "nous" qu’on accède à l’être véritable. Gabriel Marcel soutient dès lors que la crucifixion et la résurrection sont seules capables de donner un sens à notre vie. En effet, l’amour trouve sa manifestation la plus forte dans le sacrifice pour ceux qu’on aime, pour qu’ils survivent; c’est la signification de la crucifixion de Jésus. Quant à la résurrection, elle est la concrétisation de l’espérance en l’immortalité du lien qui nous unit à ceux que l’on aime. Si l’amour est plus fort que la mort, la résurrection doit donc nécessairement être soutenue.
Ainsi, la Vérité est transcendante par essence, elle est affective avant que d’être rationnelle; et l’expérience olfactive de la musique nous le prouve: certaines mélodies sont inexplicablement porteuses de vérité, elles nous émeuvent profondément sans qu’elles n’aient le moindre contenu rationnel objectivable: la vérité ressort de l’affectif.

 
Contre le nihilisme, le pessimisme et le néant

 Avec Gabriel Marcel, il s’agit donc d’espérer. Dès lors, pessimisme et désespoir sont à proscrire absolument, car ils enfouissent l’être sous le néant, ils affirment le triomphe de la défaite. Le désespoir est au centre de notre condition: mort, malheurs, calamités… tout y invite, tout y conspire. Opter pour lui, c’est se résigner tandis que la vérité implique le courage et l’insoumission devant l’apparence des faits.

 Gabriel Marcel, un catholique ambigu

 Depuis sa première jeunesse, Gabriel Marcel adhère globalement au message chrétien. Selon lui, la foi est «l’évidence des choses non vues». La religion n’est pas un credo, un code de préceptes, mais plutôt la foi dans la valeur absolue de la vie. Cette conviction personnelle l’amène, à 40 ans, à se convertir à l’Eglise catholique et à écarter l’option protestante, qui n’incarne pas la plénitude de ce qu’est censé être le christianisme, à savoir une fidélité créatrice. Or, s’il insiste sur la réalité de la résurrection du Christ et des hommes, Gabriel Marcel s’écarte de la doctrine catholique sur un certain nombre de points. Premièrement, la foi n’appartiendrait pas à l’ordre du vérifiable, ce qui le pousse à rejeter le thomisme et les preuves de l’existence de Dieu officiellement accréditées par l’Eglise. D’autre part, son dégoût de l’Ancien Testament creuse une béance vertigineuse entre ses convictions et l’enracinement de l’Eglise dans le terreau du judaïsme originel. Enfin, Gabriel Marcel affirme que personne n’est censé prétendre avoir la foi, ce qui serait ramener cette dernière à un avoir, à une possession.

 Un philosophe de droite

 Gabriel Marcel se qualifie homme de droite, en raison de sa répugnance envers le socialisme immanentiste, et à cause de la négation du surnaturel par la gauche. Son dextrisme se veut cependant ouvert, au rebours de toute idée de crispation conservatrice. De ce fait, la générosité et la bonté sont au cœur de sa philosophie. L’homme de gauche se complaît à s’indigner, supposant les conditions réelles du monde tout autres qu’elles ne sont. Au risque d’être cynique, l’homme de droite appréhende la réalité dans toute sa complexité, sans oublier que le présent est toujours tributaire du passé. Ainsi, concernant l’introduction de l’art contemporain dans les églises, Gabriel Marcel affirme habilement: «S’il y a un domaine d’où l’esprit d’abstraction doit être banni, c’est certes bien celui-là»
A l’époque de la Guerre Froide, il choisit sans équivoque le camp occidental. D’autre part, il compare les révolutions à des crises pathologiques qui sont parfois nécessaires pour développer la croissance d’un organisme. Gabriel Marcel est nostalgique du passé; effrayé par la civilisation technocratique qui se profile, il regrette la fin du XIXe siècle, époque où le monde était «normalement constitué».

 Les limites de la philosophie de Gabriel Marcel

 La philosophie de Gabriel Marcel comporte un certain nombre de défauts qui altèrent quelque peu sa valeur:
-avant tout, le philosophe manque de rigueur logique dans son engagement catholique; son allergie envers l’Ancien Testament est inconciliable avec le message évangélique, annonçant l’accomplissement et non l’abolition de la Loi.

-l’œuvre laisse régulièrement apparaître la faible formation théologique de l’auteur.

-sa pièce maîtresse, le Journal métaphysique, est contradictoire et peu claire, comme le restera son œuvre en général.

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