Cette étude est essentiellement fondée sur le dépouillement
du fonds Gabriel Marcel conservé au
département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France. Il contient
un grand nombre de lettres reçues par l’auteur, mais aussi des articles, des
brouillons de conférences et de pièces. Le fonds Henry Marcel, conservé par la
même institution, livre des lettres de jeunesse écrites par Gabriel Marcel, ce
qui donne de plus amples précisions sur la vocation de leur auteur et son
parcours intellectuel. Certains fonds de l’Institut Mémoire de l’édition
contemporaine (notamment les fonds Jean Paulhan, Jean Follain, Jacques
Audiberti et Jean Walh) ont permis de compléter ces informations, ainsi que des
articles et des programmes de théâtre déposés dans le fonds Claude Des Presles,
à la Société des auteurs et compositeurs dramatiques. Enfin, le département des
arts du spectacle de la Bibliothèque nationale de France comprend plusieurs
fonds composés de coupures de presse, notamment le fonds Rondel, et des recueils
factices pour les périodes 1964-1969 et 1970-1975. Enfin, l’activité de
critique littéraire exercée par Gabriel Marcel représente une grande partie des
sources imprimées, ainsi que la correspondance publiée.
Un cheminement vers le théâtre
Gabriel Marcel est né le 9 octobre 1889, dans une famille de
la grande bourgeoisie parisienne. Il passe une enfance heureuse, mais sa
situation de fils unique lui pèse énormément. Très tôt, il est marqué par la
mort de sa mère et le remariage de son père avec la sœur de cette dernière, sa
tante Marguerite, qui exerce sur lui une influence décisive. La conscience
précoce de la présence de la mort, celle aussi d’être responsable de l’union de
deux êtres que rien ne prédisposait à vivre ensemble le mûrissent
prématurément, et sont à l’origine de sa réflexion ultérieure. Très tôt, ses
goûts le portent vers le théâtre, et son souhait est alors de devenir
dramaturge. Plus tard, la découverte de la philosophie prend le dessus, et il
passe, avec succès, l’agrégation de philosophie, sans pour autant cesser
d’écrire des pièces. Ses amitiés intellectuelles lui permettent d’entrer dans
le cercle de la N.R.F., par l’intermédiaire de Jacques Rivière.
L’arrivée de la guerre bouleverse le jeune homme qui, bien
que réformé pour cause de santé, s’occupe d’un service de la Croix-Rouge afin
d’informer les familles des disparus. Cette situation est essentielle, et le
met au contact de la souffrance et de l’angoisse. Elle l’incite aussi à tenter
des expériences métapsychiques qu’il utilise plus tard dans certains drames.
En parallèle, il tente de faire publier, voire jouer ses
pièces. En 1914, Le Seuil invisible, son premier recueil, est publié à compte
d’auteur. Des représentations par des “ théâtres à côté ” remportent un succès
d’estime, sans atteindre cependant le grand public. La Chapelle ardente est
néanmoins montée par Gaston Baty au Vieux Colombier, en 1925 et un certain
espoir s’empare du jeune auteur.
L’impulsion décisive est donnée par Charles Du Bos, ami
intime de Gabriel Marcel : il confie au philosophe ses interrogations, et
l’associe à son propre retour au catholicisme. Un mot de Mauriac, l’engageant à
rejoindre les croyants, suffit à révéler à Gabriel Marcel son devoir.
Cependant, malgré les interventions extérieures, telle celle de l’abbé
Altermann, la compatibilité de la religion avec la philosophie marcellienne est
un sujet de fréquentes angoisses. L’intolérance dont font preuve certains
catholiques révolte l’ancien agnostique et le place “ sur le seuil ”, entre
croyants et incroyants.
L’influence de la conversion sur l’œuvre théâtrale paraît,
de ce point de vue, assez minime. La quête que représente le christianisme,
dans la perspective de Marcel, empêche toute doctrine de s’exprimer de manière
radicale et simplificatrice. Le prosélytisme est entièrement exclu de
l’écriture marcellienne.
Primat de la philosophie ? Le
semi-échec d’une vocation dramatique
La pensée existentielle de Gabriel Marcel naît vers 1932,
lors de la distinction entre les notions de problème et de mystère.
L’expérience devient un élément essentiel, et le terme de “ philosophe
existentialiste ” est appliqué à l’auteur, contre son gré. Il le récuse
systématiquement à partir de 1949.
Le théâtre apparaît comme précurseur dans la découverte de
thèmes philosophiques. C’est à partir de personnages et de situations qu’il met
en scène que Gabriel Marcel effectue une partie de sa réflexion. Aucune de ses
deux activités n’est dépendante de l’autre ; elles sont complémentaires, mais
peuvent se lire séparément. Théâtre et philosophie sont deux aspects d’une même
vocation : la notion de partage et de communication est particulièrement importante,
et l’autre passion de Gabriel Marcel, la musique, est l’apogée de cette
exigence de communion qui conduit le philosophe et le dramaturge.
L’échec du théâtre de Gabriel Marcel n’est pas une fatalité.
Un temps, il peut espérer la reconnaissance du public. Les années 1949-1953
voient la représentation d’un certain nombre de ses pièces, et la récompense de
tant d’efforts. Un Homme de Dieu, notamment, est représenté à Colmar, puis à
Paris en 1949 et en 1950. La Chapelle ardente et Rome n’est plus dans Rome sont
aussi portées à la scène. Cependant, l’échec du Chemin de crête au Vieux
Colombier décourage Marcel, qui abandonne sa lutte pour faire reconnaître ses
pièces.
L’investissement dans le théâtre se perpétue à travers ses
critiques dramatiques, notamment dans Les Nouvelles Littéraires. Admiré comme
un des rares critiques de qualité, il reçoit maints témoignages d’estime de la
part d’auteurs qui avouent s’instruire à la lecture de ses chroniques. Parmi
tant d’autres, Montherlant et Audiberti sont particulièrement touchés par les
compliments ou les conseils de Marcel. Les acteurs, de leur côté, ne sont pas
en reste, et remercient ou appellent à l’aide, selon les cas, le critique
reconnu qu’est Gabriel Marcel.
C’est cependant dans la philosophie qu’il s’investit le plus
et, s’il abandonne la création à partir d’un certain âge, jamais Marcel ne
cesse de voyager, de faire des conférences, d’écrire des articles. Sa notoriété
devient grande vers les années 1950 : il est élu à l’Académie des Sciences
morales et politiques, reçoit nombre de prix récompensant sa pensée, et reste
une référence pour beaucoup de jeunes philosophes.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire