vendredi 23 mai 2014

Les oeuvres d'Albert Camus


L'absurde dans l'Etranger d'Albert CAMUS

« Chacun de nos actes met en jeu le sens du monde et la place de l’homme dans l’univers. »
Il va sans dire que l’écriture camusienne s’inscrit dans le cadre de cette fracture littéraire qu’ont connue les traditions romanesques au fil du XXe siècle. En effet, on ne parlait plus en termes d’une littérature chargée des signes les plus spectaculaires d’ornementation et d’embellissement, mais la création littéraire se caractérisait par une absence idéale voire mythique du style « l’écriture se réduit à une sorte de mode négatif dans lequel les caractères sociaux ou mythique du langage s’abolissent au profil d’un état neutre de la forme». La création littéraire se trouve donc foncièrement affectée par les crises historiques, politiques et morales de cette période chaude de l’histoire universelle.

L’absurde:

Du latin « absurdus », le mot absurde est synonyme de « dissonant ». En philosophie le mot absurde est utilisé chez les existentialistes pour caractériser ce qui est dénoué de tout sens préétabli. L’absurde se définit comme étant « la confrontation de cet irrationnel et de ce désir éperdu de clarté dont l’appel résonne au profond de l’homme». Plus précisément l’absurde est le fruit de ce rapport antinomique entre l’absurdité de la réalité et la conscience humaine. La philosophie de l’absurde dont le fondateur est Albert CAMUS tire ses origines du désastre produit par les deux guerres glorieuses du XXe (1914-1918), (1939-1945) qui ont ensanglanté le monde. De surcroît les théories scientifiques sont ébranlés ; la science n’est parvenue à expliquer le monde que par une image celle d’une espèce d’ « Invisible système planétaire où des électrons gravitent autour d’un noyau. ». Dans le même ordre d’idée l’un des aspects les plus fracassants de la vie est le caractère à la fois routinier et machinal de cette vie elle-même (lever, tramway, trois heures de travail, repas, tramway, lundi, mardi, mercredi………………). La vie s’écoule sur le même rythme, ce qui soulève la question du pourquoi de l’existence, du moment que les jours sont stupidement subordonnés à un lendemain qui est attendu mélancoliquement.

La philosophie de l’absurde se base sur quatre principes à savoir : la liberté, la passion, le défi et la révolte. Quant à la carrière camusienne, elle s’articule autour de deux pôles essentiels : L’absurde et la révolte Correspondant à deux étapes de son itinéraire philosophique ; le premier pôle comporte une sorte de prise de conscience du non-sens de la vie qui conduit à l’idée que l’homme est libre de vivre, quitte à payer les conséquences de cette liberté. Ce pôle se trouve représentée par l’Etranger(1942), le Mythe de Sisyphe(1942), Les Justes(1950), l’Etat de Siège(1948) et en 1944 par deux pièces théâtrales, en l’occurrence, Caligula et le Malentendu. Le deuxième pôle revêt l’aspect révolutionnaire de l’homme vis -à- vis de la catastrophe, ce caractère trouve ses expressions dans la peste(1947), l’Homme Révolté (1951). Force est de constater que la plupart des œuvres de Camus ont le même contexte à savoir le contexte algérien, et d’une manière générale elles se rattachent à la culture méditerranéenne.

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Le Mythe de Sisyphe (Essai sur l’absurde, 1942)

 Albert Camus était-il existentialiste ? Malgré ses dénégations et sa brouille avec Jean-Paul Sartre en 1952, un homme capable d’écrire, dans un premier roman, « J’ai envie de me marier, de me suicider, ou de m’abonner à L’Illustration. Un geste désespéré, quoi… » est naturellement existentialiste. Plus tard, lorsqu’il publie L’Étranger, son roman est jugé « existentialiste ». Pourquoi ? Parce que Meursault (le héros) se promène comme un somnambule dans un monde qu’il ne semble pas vraiment habiter. Néanmoins il agit, il mange, il boit, il fume, fait l’amour et commet même un meurtre. De ce personnage, Camus donne la clé dans un essai paru presque simultanément, Le Mythe de Sisyphe, qui est le manifeste de sa « philosophie de l’absurde » (1). Il y affirme que l’absurde est partout. Il évoque le personnage de Sisyphe, ce héros grec condamné par les dieux à inlassablement pousser un rocher vers le sommet d’une montagne, d’où il retombe et oblige à recommencer. Sisyphe incarne le sort de l’homme voué à une vie insensée. Il rejoint en cela l’une des intuitions de Martin Heidegger : celle de l’étrangeté de l’homme au monde, qu’il appelle « déréliction », et que Sartre nomme « délaissement ». Chez Camus, le mot est plus fort : c’est l’absurde. Soren Kierkegaard et Edmund Husserl proposent des solutions au désespoir : la foi pour l’un, la recherche des essences pour l’autre. Qu’en est-il pour Camus ? Il est proche de Sartre et de son devoir de liberté. Dans Le Mythe de Sisyphe, il a ces mots : « Si l’absurde annihile toutes mes chances de liberté éternelle, il me rend et exalte au contraire ma liberté d’action. » Dans un monde sans Dieu ni valeurs ultimes, l’homme est donc plus libre. Camus, sans rien espérer, fait l’éloge de la création artistique : « Créer, c’est ainsi donner une forme à son destin. » Plus tard, il donnera un contenu plus radical à la liberté : la révolte.

 La Peste: 

Avec la peste, le temps s’efface ; seul l’instant demeure. Le passé est trop difficile à porter pour ceux qu’elle menace, les souvenirs étant comme autant de larmes lacérant l’esprit et le cœur en prolongeant un monde désormais révolu. L’avenir quant à lui, n’existe pas, parce qu’il faut un peu espérer pour l’entrevoir. La peste condamne tout, y compris la mémoire et l’espoir. Avec la peste, c’est aussi une monotonie froide qui s’installe insidieusement et gagne les vivants, comme un serpent frôlant le sol pour mieux attraper sa proie avec discrétion. Le présent s’éteint progressivement, sans la lumière de l’avant et de l’après, jusqu’à ce qu’une profonde obscurité enveloppe tout. Avec la peste, c’est également toute la souffrance de la terre qui se diffuse pour saisir n’importe qui, n’importe quand, sans jugement, ni erreur. La peste est d’une rigueur mathématique, sa logique est implacable. L’enfant est une victime toute aussi désignée que l’est le plus effroyable des criminels. Tout compte fait,la peste, comme tout fléau est un accélérateur. Elle prend à chacun sa condition de mortel pour la réaliser au plus vite. Avec la peste, c’est une mort à grande échelle qui témoigne de l’absurdité de la vie en sursis. Que reste-t-il alors à faire pour ceux dont elle est le quotidien et qui d’un moment à l’autre, sans prévenir, peut les atteindre ? Que penser devant cet enfant pestiféré dont la bouche se tord une dernière fois juste avant de mourir pour laisser échapper une plainte inhumaine ? Dieu à cet instant est-il encore présent ? Le docteur Rieux, le personnage central du roman de Camus, La peste, par son attitude donne réponse à ces questions. Il continue, sans héroïsme, à exercer son métier de médecin. Il continue, face à toutes ces morts aussi absurdes les unes que les autres, à être un homme, en n’admettant pas la peste qui sévit tout en refusant de devenir un saint, ni à trouver un refuge en se donnant totalement à Dieu. Le docteur Rieux est un révolté dans chacun de ses gestes médicaux, et cette révolte est digne parce qu’avec et en elle, il comprend qu’il faut aimer les hommes pour ne pas se laisser aller emporter par l’absurdité de leur condition, y compris lorsqu’elle prend le visage de la peste.

 
Albert Camus, la pensée révoltée

 Le très excellent « Philosophie Magazine » propose aux lecteurs un « hors-série » consacré à la figure historique, quasi légendaire, « hors-série » à sa manière, d’Albert Camus. Sur quelques cent soixante pages, Philosophie Magazine se fait l’humble réceptacle des réflexions qu’aura suscité la pensée de Camus. Ainsi s’égrènent, pour notre édification et notre plus grand plaisir, les méditations de Roland Barthes, de Georges Bataille, de Jacques Derrida, de Jean-Paul Sartre, d’Hannah Arendt, de Jean-François Mattéi, de Rémi Brague, de Frédéric Worms et de tant d’autres, toutes occupées à rendre hommage à la pensée de cet homme qui fit de son existence une pensée et une révolte et à propos duquel on peut dire que s’il fut une idole pour son temps il reste encore pour le nôtre un exemple. Et c’est, peut-être, sur cette exemplarité de cet homme et de cette pensée qu’il faudrait revenir pour mieux nous comprendre, puisque la tâche de Camus, comme de tout philosophe ou de tout peintre de notre condition, est de nous donner à voir ce que nous sommes et comment nous sommes.

 Deux mots semblent constituer les deux pôles de la pensée camusienne et de ce cri qu’elle fut, quiconque penche une oreille attentive sur son œuvre, entend encore les échos : l’absurde et la révolte. Comme toujours, vérité logique de la trinité, deux termes ne peuvent entrer en relation que si, précisément, quelque chose, quelque matrice ou quelque lien, rend possible a priori un tel rapport, un tel rapprochement. Ce lien coordonnant l’absurde à la révolte pourrait bien être l’étrangeté. Car ce n’est pas le monde qui est absurde, ni même l’homme, mais ce rapport de l’homme au monde, ou plutôt ce non rapport, cette étrangeté de l’homme au monde. Autrement dit, l’homme ne se rapporte au monde qu’au gré d’une relation disproportionnée qui interdit, de fait, la compréhension du monde par l’homme et l’assimilation de l’homme par le monde.

 L’absurdité de l’existence découle de l’étrangeté de l’homme au monde. La révolte, autre maître mot de la pensée de Camus, autre pôle aux antipodes de l’absurde, est la réponse de l’auteur de « L’homme révolté ». Or, la révolte, elle aussi, découle de cette étrange étrangeté ressentie par l’existant en tant qu’il expérimente, par toute son existence, ce « déchirement » qu’est la vie humaine dans la mesure où elle est, comme le dit Camus dans la préface de « L’homme révolté », celle « qui refuse d’être ce qu’elle est ». L’homme est étranger au monde, aussi, de deux choses l’une : soit il prend acte de cette condition et se mesure à l’impossibilité de rendre raison du monde comme de sa propre existence, soit il renonce à répondre de sa condition et, en acceptant l’absurde, il l’annule, il lui donne un sens, bref il se trahit essentiellement en trahissant l’absurde qui exige non pas l’abolition du sens mais l’impossibilité d’en fixer un. Il y a donc un renoncement qui, sous couleurs de refus, est une lâche acceptation comme il y a un consentement qui, sous couleurs d’adhésion, est un refus authentique qui, par delà le non qui s’oppose bêtement, répond « oui » à l’humaine destinée et acquiesce à l’improbable rencontre de l’homme et du monde et à ce monstre de liberté auquel ils ont donné naissance. Camus, mieux que personne sans doute, nous aura appris le véritable poids de cette liberté que d’ordinaire nous pensons plus légère qu’une plume, plus aérienne qu’une parole et plus éthérée encore qu’une idée. En vérité, si l’on nous permettait cette expression quelque peu vulgaire, la liberté « plombe ». Nous voulons dire, par là, que non seulement elle pèse, comme ce boulet aux chevilles pourtant spectrales des fantômes de nos contes, mais de plus elle tue ou peut tuer comme cette balle, comme ce plomb qui cloua au sol et dans le soleil cet arabe tué par Meursault dans « L’Etranger ». Voilà donc ce qui nous reste à penser : puisque nous sommes libres et que l’existence, du fait de l’incompatibilité foncière de l’homme et du monde, est absurde, il est impérieux de connaître la portée de nos actes et le sens que ne peut pas manquer de leur conférer l’homme de l’absurde, celui qui, conscient et responsable de sa vie, est conséquent avec l’autre, cet autre retrouvé et requis par Camus au terme de la logique de la révolte, cet autre apparaissant comme la nécessaire conclusion de son éthique : « je me révolte, donc nous sommes ». En réalité, l’autre, l’étranger au fond, celui là même qui nous hante, ne cesse d’aimanter la pensée camusienne.

 Ce souci de l’autre, de l’ailleurs, la radicalité de cette pensée qui assume jusqu’à l’absurde de sa condition, voilà les traits d’une pensée authentiquement philosophique qui cherche par delà la folie du réel et dans les tréfonds de l’être les derniers vestiges d’une raison en fuite. On peut s’interroger sur la mort, accidentelle, de Camus et se demander s’il n’y a pas là comme une ironie de la vie qui, ayant eu à subir les critiques de cet enfant prodigue, désira montrer à l’auteur du « Mythe de Sisyphe » qu’elle peut, au dernier moment, briser le refus du mortel et lui faire accepter une fin dont il aurait voulu se prémunir sa vie durant. Preuve sans doute que la vie fait sens et que l’absurde n’est au fond produit que par la surdité de l’homme et le mutisme du monde. Je ne peux que vous recommander la lecture, passionnante en vérité, de cet « hors-série » que « Philosophie Magazine » consacre à cette figure, marquante entre toutes, de la littérature française de la seconde moitié du vingtième siècle et dont les clefs de compréhension nous sont fournies par ceux qui l’ont connu comme par ceux qui ne cessent de côtoyer sa parole, à présent muette comme le monde, figée comme un symbole, têtue comme le signe répétant toujours le même et pourtant ouverte à tous les vents de l’interprétation à laquelle l’œuvre de Camus nous assigne comme à ce pieux de la fatalité auquel le destin nous a attaché à l’origine.
 
La connaissance beaucoup plus approfondie que nous avons aujourd’hui de l’œuvre de Camus amène à reconsidérer ce découpage, en respectant les cycles qui la composent, chacun se composant généralement d’un essai, d’une pièce de théâtre et d’un roman – ainsi du « cycle de l’absurde » formé par la trilogie L’Étranger, Le Mythe de Sisyphe et Caligula.
 
Cette nouvelle édition respecte donc un classement strictement chronologique des textes majeurs de l’écrivain. À la fin de chaque tome sont également regroupés, toujours par ordre chronologique, d’une part les articles, préfaces et conférences non publiés en librairie, d’autre part les écrits dits « posthumes », c’est-à-dire non publiés du vivant de l’auteur et bien souvent restés inédits.
Albert Camus écrivait en 1953 dans ses Carnets : « Je demande une seule chose, et je la demande humblement, bien que je sache qu’elle est exorbitante : être lu avec attention. » Pour lui rendre justice, croiser sa pensée et son existence, saluer une vie philosophique exemplaire, j’ai souhaité écrire ce livre après l’avoir lu avec attention. » (M. Onfray)Pour mettre fin à une légende fabriquée de toutes pièces par Sartre et les siens, celle d’un Camus « philosophe pour classes terminales », d’un homme de gauche tiède, d’un penseur des petits Blancs pendant la guerre d’Algérie, Michel Onfray nous invite à la rencontre d’une œuvre et d’un destin exceptionnels.Né à Alger, Albert Camus a appris la philosophie en même temps qu’il découvrait un monde auquel il est resté fidèle toute sa vie, celui des pauvres, des humiliés, des victimes. Celui de son père, ouvrier agricole mort à la guerre, celui de sa mère, femme de ménage morte aux mots mais modèle de vertu méditerranéenne : droiture, courage, sens de l’honneur, modestie, dignité.La vie philosophique d’Albert Camus, qui fut hédoniste, libertaire, anarchiste, anticolonialiste et viscéralement hostile à tous les totalitarismes, illustre de bout en bout cette morale solaire.

 

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