Paul-Michel Foucault naît à Poitiers le 15 octobre 1926 dans
une famille bourgeoise. Son père est chirurgien. Il fait ses études
secondaires, d'abord au lycée de Poitiers puis chez les « bons pères » au
collège Saint Stanislas. Après une hypokhâgne et une khâgne à Poitiers et un
échec au concours d'entrée à l'Ecole normale supérieure, il arrive à Paris, en
1945, et y intègre la khâgne du Lycée Henri IV. C'est là qu'il découvre la
philosophie sous la direction de Jean Hyppolite, un spécialiste de Hegel. Il
entre à L'École Normale Supérieure en 1946. Il suit les conférences de
Merleau-Ponty et y rencontre Louis Althusser (philosophe marxiste) qui le
prépare à l'agrégation et influe sur son adhésion (1950-1953) au Parti
communiste français. Foucault est chargé, à L'ENS, du petit laboratoire de
psychologie. Peut-être à cause d'une homosexualité mal vécue à une époque où cette
conduite sexuelle est mal acceptée, il fait une tentative de suicide en 1948,
ce qui lui vaut (comme Althusser) une chambre privée à l'infirmerie de l'École.
Reçu à l'agrégation de philosophie en 1951, il est nommé
l'année suivante à Lille où il dirige, jusqu'en 1955, l'Institut de
psychologie. A partir de 1953, il commence à lire Nietzsche, lecture qui
exercera une influence décisive sur son œuvre. Progressivement, il laisse la
phénoménologie et le marxisme pour s'inspirer de Bachelard, Nietzsche, Sade et
Bataille. En 1954, paraît Maladie mentale et personnalité, publié plus tard
sous le titre Maladie mentale et psychologie. Foucault désavouera ce texte plus
tard.
George Dumézil lui propose un poste de lecteur à
l'Université d'Uppsala (Suède). Il sera à la fois attaché culturel à Stockholm
et directeur de la maison française d'Uppsala (1955-1958). Il se sent isolé
mais utilise cette solitude pour entamer ce qui sera sa plus grande œuvre :
Folie et déraison (qu'il rebaptisera plus tard Histoire de la folie à l'âge
classique). En 1958, il accepte un poste culturel à Varsovie mais la police
secrète polonaise le menace pour le faire quitter le pays en raison de son
homosexualité. Il passe deux années à Hambourg (1958-1960) avant d'être élu
maître de conférence à la Faculté de Clermont-Ferrand. En 1961, il soutient sa
thèse de doctorat (Histoire de la folie à l'âge classique). Canguilhem est son
directeur de thèse. Il devient, en 1962, professeur de philosophie à
l'Université de Clermont-Ferrand. C'est de ces années à Clermont que datent ses
amitiés pour Deleuze et Michel Serres.
En 1963, Foucault publie Naissance de la clinique et, en
1966, Les mots et les choses qui le font découvrir par un plus large public. Il
accepte, en 1966, un poste à l'Université de Tunis. Il revient, en toute hâte,
à Paris lors des évènements de mai 1968. Il participe à la création de
l'Université « expérimentale » de Vincennes (il y enseignera en 1969 et 1970)
et publie, en 1969 L'archéologie du savoir. Il est nommé en 1970 au Collège de
France à la chaire d'histoire des systèmes de pensée.
En 1971, il participe à la création du Groupe d'observation
des prisons qui conteste l'univers carcéral. En 1975 paraît Surveiller et
punir. Foucault participera désormais à de nombreuses actions notamment en
faveur des droits de l'homme. Dans les années 70, Foucault fait de nombreux
voyages aux Etats-Unis où il donne des conférences et où il découvre aussi et
fréquente les communautés homosexuelles sado-masochistes. Foucault publie en
1976 La Volonté de savoir, premier tome de son Histoire de la sexualité. Les
deux volumes suivants, L'usage des plaisirs et Le souci de soi ne seront
publiés qu'à sa mort. Il meurt en effet du Sida, le 25 juin 1984 après trois
semaines d'hospitalisation à Paris, à l'hôpital de la Salpétrière, hôpital dont
il avait décrit les rôles et l'évolution dans son Histoire de la folie. En 1994
paraissent quatre volumes d'œuvres posthumes, Dits et écrits.
Apport
conceptuel.
Une archéologie:
L'archéologie du savoir est un ouvrage de réflexion
méthodologique où Foucault essaie d'analyser les processus méthodologiques
présents dans ses œuvres antérieures. Archéologie est un mot qui évoque à la
fois un travail de fouille et une référence à des archives. Mais il ne s'agit
pas de faire de l'histoire au sens classique du terme. Il faut prendre les
discours comme des évènements dont il s'agit de rechercher les conditions
d'émergence. Par exemple, L'histoire de la folie ne cherche pas à expliquer ce
qu'est médicalement la folie mais à voir comment la folie s'est constituée
comme objet institutionnel. L'archéologie est l'étude des manières successives
dont s'organisent les savoirs aux différentes époques.
Par exemple, ce que nos bibliothécaires rangent à côté
d'autre chose est spécifique à l'époque. Au XVII° siècle, on place l'alchimie
au rayon des sciences. De même la philosophie est aussi une institution. Newton
se disait philosophe et on le considérait comme tel. L'archéologie est l'étude
des coupures et des solidarités dans les savoirs existants qui varient
historiquement. L'histoire de la pensée n'est pas autonome. La pensée
d'aujourd'hui ne dépend pas seulement de celle d'il y a trente ans. Elle a des
liens avec d'autres secteurs de la pensée mais aussi avec des phénomènes
extérieurs à elle-même. Aucun phénomène intellectuel n'est isolable de
l'ensemble des réalités sociales. L'enjeu est le décentrement du sujet.
Foucault critique les continuités, les masses de manœuvre mises en jeu par ce
type d'idéologie qu'est l'histoire de la pensée comme démarche autonome. Il
faut critiquer les notions qui masquent les ruptures et qui sont comme autant
de fausses solutions. Là où il y a problème, on répond par une désignation, par
exemple le concept de tradition. On néglige de se demander pourquoi une
tradition se maintient ou non. Pourquoi des résurgences comme celle du
pythagorisme au XVI° siècle ? On peut répondre que c'est parce qu'on les lisait
mais pourquoi les lisait-on ? Pourquoi une tradition cartésienne en France et
pourquoi n'est-elle pas la même à différentes époques ? Le choix de ses
ancêtres intellectuels est un choix qui s'explique dans le contexte d'une
époque et la réponse ne peut être que structurelle.
Les mots et les choses:
Dans Les mots et les choses, Foucault tente une archéologie
des sciences humaines. Le discours sur l'homme est un événement récent dans
l'histoire du savoir. L'homme naît en tant que concept au XIX° siècle. « L'homme est une invention dont
l'archéologie de notre pensée montre aisément la date récente. Et peut-être la
fin prochaine. »
Chaque époque se caractérise par une grille du savoir qui
rend possible le discours scientifique et que Foucault appelle épistémè.
L'épistème détermine ce qu'une époque peut ou non penser. De la Renaissance au
XIX° siècle, se succèdent trois épistémès : A la Renaissance, il y union des
mots et des choses. Le monde est un livre où il s'agit de déchiffrer des signes
(que Dieu est censé avoir inscrit dans les choses). A l'âge classique, le langage cesse d'avoir un
rapport intime aux choses. Il est instrument de la pensée, la représente. C'est
le règne de la représentation.
Au XIX° siècle, a eu
lieu une nouvelle brusque mutation. De nouvelles disciplines (liées à
l'histoire qui impose sa loi) émergent : philologie (étude des modifications
des langues), biologie (théorie de l'évolution), économie politique,
c'est-à-dire l'homme qui parle, qui vit, qui travaille. C'est là qu'intervient
l'homme comme objet de sciences. Mais l'homme est en position ambiguë puisqu'il
est à la fois celui qui est objet de savoir et sujet qui connaît. Il est
spectateur regardé. Les sciences humaines sont donc fragiles et ne peuvent être
qu'un épisode dans l'histoire du savoir.
Folie et déraison:
Dans Histoire de la folie à l'âge classique, Foucault se
propose, non pas de faire une histoire de la psychiatrie, mais de chercher les
conditions de l'exclusion et de l'enfermement des fous. Alors qu'au Moyen Age,
la société écarte et isole les lépreux, à partir de l'âge classique on enferme
les fous.
A la Renaissance, s'opère un premier mouvement de scission.
Dans les tableaux de Bosch (La nef des fous) ou de Breughel, le fou est un
passager, symbole de la condition humaine mais qui a aussi parti lié avec les
forces du mal et des ténèbres. Chez Érasme, en revanche, dans son Éloge de la folie,
apparaît une folie avec laquelle la raison dialogue mais qu'on évoque pour
critiquer l'illusion humaine et sa prétention. D'un côté se situe donc une
folie tragique et de l'autre une folie apprivoisée. L'écart va se creuser
jusqu'au XIX° s. La seconde, celle de la conscience critique, va aboutir à la
science médicale, l'autre qui doit se taire ressurgira dans les œuvres de Goya,
Van Gogh, Artaud, Nietzsche.
Au XVII° siècle, le fou est rejeté, tenu à l'écart. Un
exemple philosophique nous montre le changement de perspective. Dans la
Première Méditation, consacrée au doute, Descartes évoque, au moment où il
cherche à douter de son corps, l'argument de la folie qu'il emprunte à
Montaigne. Mais là où Montaigne envisage sérieusement l'argument, Descartes l'écarte
immédiatement : « Mais quoi ? Ce sont des fous et je ne serais pas moins
extravagant si je me réglais sur leur exemple ». Le clivage raison / folie a eu
lieu. La folie, aux yeux de Descartes représente une altérité totale par
rapport à la raison. Elle est située dans une région d'exclusion et la
possibilité nietzschéenne d'un philosophe fou n'a pas de sens pour Descartes
alors que Montaigne admettait encore la possibilité d'une pensée hantée de
déraison.
Au XVII° siècle, on n'enferme pas que l'insensé mais aussi
les pauvres, les oisifs, les vagabonds, les débauchés etc. Le fou fait partie
de ceux qu'il s'agit de « corriger ». On prive donc les fous de la parole que
le Moyen Age leur avait donnée. On enferme tous ceux qui dérangent l'ordre
établi. La raison apparaît comme une norme sociale tyrannique.
Plus tard, la folie retrouve une place particulière
(distincte des autres formes de marginalité). Elle reste seule dans les lieux
d'enfermement parce qu'on comprend que, d'un point de vue économique, il vaut
mieux rendre les oisifs et les pauvres au marché du travail. C'est la naissance
de l'asile, de la médicalisation de l'internement. La folie se constitue en
maladie mentale. Le fou devient un objet et ainsi, en voulant domestiquer la
folie, la raison s'interdit de la comprendre. Certes le fou est délivré de ses
chaînes mais il est asservi au regard savant du médecin. De bête dangereuse, il
est devenu enfant sous tutelle, réduit au silence, à l'absence d'œuvre et donc
encore exclu. En somme les Lumières de la psychiatrie ont fonctionné (avec
d'autres procédés et modalités) selon la même logique qui mena au grand
renfermement du XVII° siècle. On voit donc, pour résumer, que l'avènement du
rationalisme classique a mis hors jeu la folie et le savoir psychiatrique a
inventé, façonné, découpé son objet, la maladie mentale.
Pouvoir et savoir:
Foucault récuse l'idée qu'il y aurait un seul pouvoir, le
pouvoir d'État, le pouvoir politique. Existent aussi, omniprésents, partout
dans la société, ce que Foucault nomme les micro-pouvoirs. Ils se situent à
différents niveaux : pouvoirs de certains individus sur d'autres (parents,
professeurs, médecins etc.), de certaines institutions (asiles, prisons), de
certains discours.
Alors que le pouvoir politique est répressif, les
micro-pouvoirs sont productifs. Quand le pouvoir politique cherche à faire
taire en se réservant le droit à la parole, à maintenir dans l'ignorance, à
réprimer plaisirs et désirs et exerce la menace de mort, les micro-pouvoirs, en
revanche, produisent des discours, incitent à l'aveu (il faut avouer au prêtre,
au médecin etc.), ce qui permet de contrôler qui est ou non dans la norme. Ils
produisent des savoirs (les sciences humaines, par exemple, énoncent les
savoirs des normes nécessaires pour définir qui s'en écarte), ils
individualisent (dans un système de discipline, l'enfant est plus individualisé
que l'adulte, le malade que l'homme sain, le fou que l'homme normal etc.), ils
veulent gérer la vie et cherchent à se faire désirer, aimer (le patron est
étymologiquement le père, on parle de mère patrie, de Dieu le père etc.). « Si
tu ne m'obéis pas, je ne t'aime plus », telle est la formule plus ou moins
implicite du micro-pouvoir qui utilise le jeu de la séduction pour mieux
asservir. Quand le pouvoir politique impose ses lois, les micro-pouvoirs
imposent des normes, normalisent.
Pouvoir et savoir sont liés. L'exercice de ces pouvoirs
s'appuie sur des savoirs. Foucault explique que c'est la prison elle-même qui
fabrique le concept de délinquance comme le pouvoir psychiatrique a fabriqué le
concept de maladie. Les micro-pouvoirs sont bien sûr tout aussi contraignants
voire davantage que le pouvoir politique. Ils sont, en tout état de cause, plus
subtils.
Foucault veut inventer un contre discours esthétique contre
les jeux du pouvoir. Dans ses dernières œuvres (Histoire de la sexualité, tomes
II et III), Foucault procède à une recherche sur l'éthique. S'intéressant à la
solution grecque des problèmes moraux posés par la sexualité, il montre que,
parce que seuls des hommes libres peuvent dominer les autres, ils doivent
d'abord se dominer eux-mêmes. Ceci suppose une diététique des plaisirs d'abord
alimentaires puis sexuels. Il faut se gouverner soi-même et construire sa vie
comme une œuvre d'art, il faut se soucier de soi, porter attention à soi.
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