Jean Guitton et le
grand philosophe italien Leonardo Sciacca ont raconté que, pour rencontrer
Lavelle, ils durent aller le voir dans un couvent près d’Avignon où il faisait
retraite. Là, le philosophe réfléchissait dans le silence et dans la solitude.
La pensée silencieuse de Lavelle, à certains égards très proche du taoïsme ou
du bouddhisme, a aujourd’hui beaucoup à nous donner.
Louis Lavelle est né le 15 juillet 1883 à Saint-Martin de
Villeréal (Lot-et-Garonne). Son père est instituteur, sa mère agricultrice.
Boursier de la faculté de Lyon, il s’enthousiasme pour la pensée de Nietzsche.
Il assiste aux cours de Brunschvicg et de Bergson.
En 1909, il obtient l’agrégation.
Réformé, il souhaite cependant pouvoir monter au front. Envoyé sur la Somme en
1915, puis à Verdun en 1916, il est fait prisonnier et rédige au camp de
Giessen ce qui sera sa thèse de doctorat : La dialectique du monde sensible.
Après avoir été
professeur dans un lycée de Strasbourg, Louis Lavelle enseigne à Paris de 1924
à 1940. Il tient la chronique de philosophie du journal Le Temps et co-dirige
chez Aubier la collection Philosophie de l’esprit. Il publie alors ses premiers
grands livres : De l’être (1928), La conscience de soi (1933), La présence
totale (1934), De l’acte (1937), L’erreur de Narcisse (1939). De nombreux ouvrages paraîtront après la
guerre tandis que se multiplieront les conférences à l’étranger. L’année même
de sa mort, en 1951, sont publiés trois de ses principaux ouvrages : De l’âme
humaine, Le traité des valeurs et Quatre saints.
Louis Lavelle : La présence de l'Etre
Dans ce texte, il nous invite à prendre conscience de la
présence de l'Être."Il y a une expérience initiale qui est impliquée dans
toutes les autres et qui donne à chacune d’elles sa gravité et sa profondeur :
c’est l’expérience de la présence de l’être. Reconnaître cette présence, c’est
reconnaître du même coup la participation du moi à l’être". ( Louis
Lavelle)
Personne sans doute ne peut consentir à cette expérience
élémentaire, en la prenant dans sa simplicité la plus dépouillée, sans éprouver
une sorte de frémissement. Chacun avouera qu’elle est primitive, ou plutôt
qu’elle est constante, qu’elle est la matière de toutes nos pensées et
l’origine de toutes nos actions, que toutes les démarches de l’individu la
supposent et la développent. — Mais, cette constatation une fois faite, on
passe vite : il suffit désormais qu’elle reste implicite ; et nous nous
laissons attirer ensuite par les fins limitées que nous proposent la curiosité
et le désir. Ainsi notre conscience se disperse ; elle perd peu à peu sa force
et sa lumière ; elle est assaillie de trop de reflets ; elle ne parvient pas à
les rassembler parce qu’elle s’est éloignée du foyer qui les produit.
Notons toutefois que le propre de la pensée philosophique
est de s’attacher à cette expérience essentielle, d’en affiner l’acuité, de la
retenir quand elle est près d’échapper, d’y retourner quand tout s’obscurcit et
que l’on a besoin d’une borne et d’une pierre de touche, d’analyser son contenu
et de montrer que toutes nos opérations en dépendent, trouvent en elle leur
source, leur raison d’être et le principe de leur puissance.
Mais il est difficile de l’isoler pour la considérer dans sa pureté : il y faut
une certaine innocence, un esprit libéré de tout intérêt et même de toute
préoccupation particulière. Savoir qu’elle existe, ce n’est pas encore en
réaliser la plénitude concrète, ce n’est pas l’actualiser et la posséder.
"La plupart des hommes sont entraînés et absorbés par les
événements. Ils n’ont pas assez de loisir pour approfondir cette liaison
immédiate de l’être et du moi qui fonde chacun de nos actes et lui donne sa
valeur : ils la soupçonnent plutôt qu’ils ne la sentent ; elle n’est jamais
pour eux l’objet d’un regard direct, ni d’une conscience claire ; et si parfois
leur pensée vient à l’effleurer, ce n’est qu’un contact passager et dont le
souvenir s’efface vite. Mais celui qui par contre a saisi une fois dans un pur
recueillement et comme l’acte même de la vie la solidarité de l’être et du moi
ne peut plus détacher d’elle sa pensée : le souvenir de ce contact en
renouvelle la présence qui ne cesse plus d’ébranler son esprit et de
l’éclairer. Que l’on ne dise pas que cette expérience est évidente et qu’elle
doit être faite, mais qu’elle est stérile si on ne la dépasse pas aussitôt :
elle contient en elle tout ce que nous pouvons connaître. Dès qu’elle est
donnée, notre vie retrouve son sérieux essentiel en renouant ses attaches avec
le cœur du réel, notre pensée, au lieu, comme on le croit, de s’appauvrir et de
se vider, acquiert la certitude et l’efficacité en découvrant, dans chacune de
ses démarches, l’identité de l’être qu’elle possède et de l’être auquel elle
s’applique".(Louis Lavelle) dans "La présence totale"
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