Philosophe, écrivain, essayiste — auteur de très nombreux
articles et d’une trentaine de livres où la philosophie est étroitement mêlée
aux questions de l’art, de la littérature, de la psychanalyse, de l’histoire ,
Jean-François Lyotard naît à Versailles le 10 août 1924, où il vit une partie
de son enfance, et fait ses études à Paris aux lycées Buffon et Louis-le-Grand.
Hésitant sur sa vocation, il choisit après la khâgne
d’étudier la philosophie à la Sorbonne. C’est là qu’il se liera d’amitié avec
Michel Butor, Roger Laporte et François Châtelet. Son mémoire de maîtrise a
pour titre : “L’indifférence comme notion éthique”. En 1950, il réussit
l’agrégation de philosophie et obtiendra vingt ans plus tard un doctorat d’État
couronnant une thèse, dirigée par Mikel Dufrenne, dont est issu le livre
Discours, publié en 1971.
Marié, il commence à enseigner en 1948 à Autun
(Saône-et-Loire), puis, de 1950 à 1952, en Algérie au lycée de Constantine. Il
s’engage dans les activités syndicales et fait, à cette occasion, la
connaissance de Pierre Souyri qui devient son ami. Père de deux filles, il
rentre en France à la faveur de sa nomination au Prytanée militaire de La
Flèche (Sarthe) où il exerce jusqu’en 1959. Son premier livre publié en 1954 –
La Phénoménologie (collection “Que sais-je”) – outrepasse l’histoire de la
philosophie et articule la réflexion phénoménologique aux sciences humaines, à
la psychanalyse freudienne et à l’histoire marxiste. Marxisme que Lyotard
discute dans le groupe révolutionnaire “Socialisme ou Barbarie” qu’il rejoint
avec Souyri cette même année 1954. Fondé en 1949 par Cornelius Castoriadis,
Claude Lefort et des militants issus de l’extrême gauche, le groupe se démarque
d’emblée du trotskisme et mène dans la revue Socialisme ou barbarie une
critique du totalitarisme et de la bureaucratie propres aux pays communistes.
Membre du comité éditorial de la revue, Lyotard écrit sous le pseudonyme de
François Laborde les articles consacrés à la question algérienne (publiés en 1989
dans le recueil La Guerre des Algériens) et milite avec le groupe en faveur de
l’indépendance de l’Algérie. Lors de la scission de “S ou B” en 1964, il
participe à la fondation de “Pouvoir ouvrier”, qu’il quittera en 1966.
En 1960, Lyotard devient maître-assistant à la faculté des
Lettres de Paris Sorbonne (Paris-I), puis en 1966, maître-assistant à la
faculté des Lettres et Sciences humaines de Nanterre (Paris-X). Pendant les
événements de 1968, il participe aux activités du “Mouvement du 22 mars”. De 1968
à 1970, il est chargé de recherches au CNRS, puis, en 1970, est nommé à
l’université de Vincennes (Paris-VIII), où il devient maître de conférences
puis professeur à partir de 1975. Il enseignera à Paris VIII (transféré à
Saint-Denis) jusqu’en 1987. De 1970 à 1982, il y est également responsable
d’une équipe de Recherche sur la théorie et la pratique du cinéma expérimental.
Il y deviendra enfin professeur émérite. A partir de 1974, il est fréquemment
invité en tant que visiting professor dans des universités américaines, telles
que l’université de Californie à San Diego et à Berkeley, l’université John
Hopkins à Baltimore, et l’université du Wisconsin à Milwaukee.
Entré en philosophie par la voie de Husserl et
Merleau-Ponty, rompant avec le militantisme en 1966, Lyotard s’engage dans une
critique de toutes les pensées “totalisantes”, de Hegel au structuralisme en
passant par la phénoménologie et le marxisme eux-mêmes. Cette résolution
théorique, ouverte par Discours, figure en 1971, ne se démentira jamais. Les
textes publiés dans les années 70 offrent un traitement “esthétique” de la
critique politique qui prend appui sur Freud et l’expérimentation artistique :
Des Dispositifs pulsionnels (1973), Dérive à partir de Marx et Freud (1973).
Économie libidinale, en 1974, semble proche de la philosophie de Gilles
Deleuze.
En 1977 paraissent quatre livres, Instructions païennes,
Rudiments païens, Les Transformateurs Duchamp et Récits tremblants. La
recherche de Lyotard, marquée par les thèses de Wittgenstein, s’oriente
désormais vers l’analyse des récits et de leur légitimité, l’irréductibilité
des “jeux de langage” prescrivant une “justice des multiplicités”. La
publication en 1979 de La Condition postmoderne, rapport (commandé à l’auteur
par le Conseil des Universités auprès du gouvernement du Québec) sur le statut
de la connaissance à la fin du XXe siècle, lui vaudra un renom international.
Au juste, entretien avec Jean-Loup Thébaud, qui paraît la même année, marque
une nouvelle estimation de la question du jugement, grâce à son articulation
kantienne.
Tout au long de sa vie, Lyotard s’intéresse intensément à la
peinture. Outre Les Transformateurs Duchamp en 1977, il y consacre plusieurs
livres : L’Histoire de Ruth en 1983,L’Assassinat de l’expérience par la peinture,
Monory, en 1984, Que peindre ? Adami, Arakawa, Buren, en 1987, Sam Francis,
leçon de ténèbres, en 1993, Karel Appel, un geste de couleur, en 1998, ainsi
qu’une nébuleuse de courts essais ou d’articles : sur René Guiffrey, Albert
Ayme, Henri Maccheroni, Gianfranco Barucchello, Ruth Francken, Buren, Newman,
Lino Centi, Bracha Lichtenberg Ettinger, Henri Martin, François Lapouge,
Francois Rouan, Pierre Skira, etc. Cette passion pour l’art, croisée à sa
curiosité pour les sciences et nouvelles technologies, le conduira à accepter
d’être l’un des Commissaires, avec Thierry Chaput, de l’exposition Les
Immatériaux au Centre Georges Pompidou de 1985. Cofondateur du Collège
international de Philosophie en 1983, il succède, de 1984 à 1986, à la
présidence de Jacques Derrida. En 1983, il publie Le Différend – “mon livre de
philosophie”, dit-il – qui, s’appuyant sur une étude rigoureuse de philosophes
tels que Platon, Aristote, Kant, Wittgenstein, Levinas, élabore une “ontologie
des phrases” renouvelant le questionnement éthique et politique.
Sur fond de “l’affaire Heidegger” en France paraît en 1989
Heidegger et « les juifs ». Le livre propose une lecture de la spécificité
“juive” et interroge à partir de là le silence accablant de Heidegger sur
Auschwitz. Plusieurs livres importants seront publiés dans la fin des années 80
et le début des années 90 : L’Inhumain (1988), recueil d’essais sur le temps,
l’art et la technologie, Pérégrinations (1990), Leçons sur l’analytique du
sublime (1991), analyse de la troisième Critique de Kant, cette dernière jouant
désormais un rôle décisif dans la pensée de Lyotard, Lectures d’enfance (1991),
et Moralités postmodernes (1993).
Durant les années 80 et 90, Jean-François Lyotard donne de
fréquentes conférences à travers le monde, assure de nombreux séminaires
d’enseignement à l’étranger (Allemagne, Autriche, Canada, Danemark, Italie,
Argentine, Colombie, Venezuela, etc.). Il enseigne régulièrement aux
Etats-Unis, en particulier comme Distinguished Professor à l’Université de
Californie de Irvine, obtient en 1995 la chaire de “Robert Wooddruff Professor”
à l’Université Emory à Atlanta qu’il occupera jusqu’à sa mort en 1998. En 1993,
il se marie, en seconde noces, avec la mère de son fils, né en 1986.
Avec la biographie Signé Malraux (1996) et Chambre sourde
(1998), méditation sur l’”anti-esthétique” de Malraux, Lyotard s’attache à une
personnalité dont les intérêts intellectuels (philosophie, littérature,
critique d’art) et les engagements politiques sont aussi multiples, intenses
que les siens. La Confession d’Augustin, ouvrage resté inachevé, sera publié
après sa mort en 1998, de même que Misère de la philosophie, recueil paru en
2000, rassemblant de nombreux textes écrits entre 1986 et 1998. Jean-François
Lyotard est parti pour l'au-delà le 21 avril 1998 à Paris. Un colloque a été
organisé en sa mémoire par le Collège international de Philosophie en mars
1999, sous la direction de Dolorès Lyotard, Jean-Claude Milner et Gérald Sfez,
dont les actes ont paru aux PUF en 2001, sous le titre Jean-François Lyotard,
l’exercice du différend.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire