jeudi 15 mai 2014

Mémoires d'une jeune fille rangée - Analyse


L’autobiographie suppose des modalités d’écriture très variées en raison de l’implication particulière de chaque auteur dans son propre texte. Néanmoins beaucoup choisissent une relation chronologique de leur vécu, ce qui les amène évidemment à évoquer en premier lieu leur naissance et leur petite enfance avec tous les écueils d’une mémoire défaillante. Ainsi Simone de Beauvoir a choisi d’évoquer sa vie d’enfant dans Mémoires d’une jeune fille rangée (1958). Quelle stratégie adopte-t-elle pour pallier les défauts de mémoire inhérents à ce genre d’exercice ?
Nous verrons tout d’abord qu’elle utilise les éléments vérifiables d’un récit chronologique confirmé ainsi dans sa vérité et sa sincérité. Puis nous étudierons le contexte dans lequel elle a évolué dès sa prime enfance et la manière dont celui-ci a contribué à l’édification de sa personnalité.

 Simone de Beauvoir entreprend sa biographie de manière classique, volontairement conventionnelle : « Je suis née à quatre heures du matin, le neuf janvier 1908… ». On remarque qu’elle se situe d’emblée dans un cadre temporel très précis.

Une transformation symbolique s’est produite dans la vie de "Simone de Beauvoir ". Nous allons assister, de page en page, à sa naissance, en vertu de la métamorphose de mademoiselle de Beauvoir, jeune bourgeoise catholique du début du XXe siècle, en celle que ses amis appelleront le Castor, une femme libre. Il est rare d'assister sur le vif à une pareille "invention de soi".

"J'accepte la grande aventure d'être moi ", écrit-elle, et cette phrase symbolise la difficile entreprise où elle se jette, courant tous les risques sans aide, avec sa prodigieuse vitalité et son ardent amour de la vie. En effet, ce n'est pas seulement comme femme qu'elle se cherche, c'est comme individu, et cela bien avant de faire la connaissance de Jean-Paul Sartre, en 1929. Quand nous tournons la dernière page, en 1930, un être nouveau existe, dont l'assurance et l'autonomie nous frappent.

Mémoires d'une jeune fille rangée


“Mémoires d'une jeune fille rangée” est une œuvre autobiographique de Simone de Beauvoir parue en 1958. L'œuvre décrit les 20 premières années de l'auteur (de l'entre deux guerres) et sa rencontre avec Jean-Paul Sartre. Elle décrit son éducation dans une famille bourgeoise désargentée et déclassée, sa révolte contre la vie toute tracée que sa mère lui propose: éducation dans une institution catholique et mariage arrangé avec un jeune bourgeois. Sa volonté d'engagement social et philosophique (le moteur même de son existence) est complètement marquée par son désir d'émancipation. La philosophie lui permet de se libérer de la morale rétrograde imposée par sa mère.

«Je rêvais d'être ma propre cause et ma propre fin; je pensais à présent que la littérature me permettrait de réaliser ce vœu. Elle m'assurerait une immortalité qui compenserait l'éternité perdue; il n'y avait plus de Dieu pour m'aimer, mais je brûlerais dans des millions de cœurs. En écrivant une œuvre nourrie de mon histoire, je me créerais moi-même à neuf et je justifierais mon existence. En même temps, je servirais l'humanité : quel plus beau cadeau lui faire que des livres? Je m'intéressais à la fois à moi et aux autres; j'acceptais mon "incarnation" mais je ne voulais pas renoncer à l'universel, ce projet conciliait tout; il flattait toutes les aspirations qui s'étaient développées en moi au cours de ces quinze années.»

La première impression qui frappe le lecteur, c’est la netteté des souvenirs de Simone de Beauvoir. Elle remonte jusqu’à ses trois ans et analyse avec une précision méticuleuse ses actes et pensées, et va ainsi jusqu’à ses vingt ans. Simone, loin d’avoir un regard indulgent sur elle-même, se dépeint parfois assez durement. On apprend que vers trois ans et demi, elle piquait de colères bruyantes, de crises violentes. Rangée, elle l’était durant  une certaine période de sa vie, elle adhère sans broncher au catholicisme exigeant de ses parents. Plus tard, les trop nombreuses incohérences qu’elle relève entre ce que la religion prescrit et ce que font réellement les croyants, la feront douter et puis tout bonnement rejeter la foi. Elle n’échappe pas au complexe d’Œdipe: petite fille à papa, elle voue une admiration immodérée à son père. Là encore, en grandissant, elle s’apercevra que tous les côtés de son père ne sont pas glorieux.

C’est étonnant de voir l’évolution rapide de ses pensées et la construction de sa personnalité. Elle a toujours lu énormément (d’abord des lectures qui ont reçu l’imprimature de ses parents, puis les auteurs interdits) et très jeune, elle écrit déjà des petites histoires.

 « Je ne savais trop si je souhaitais plus tard écrire des livres ou en vendre mais à mes yeux le monde ne contenait rien de plus précieux. »

Ses lectures jouent un rôle dans son évolution, suscitant toujours de nouvelles questions, de nouvelles remises en question. On sent très tôt la volonté de se construire elle-même (existentialiste, déjà ?) :

« Tel était le sens de ma vocation: adulte, je reprendrais en main mon enfance et j’en ferais un chef-d’œuvre sans faille. Je me rêvais l’absolu fondement de moi-même et ma propre apothéose . Pour de vrai, je ne me soumettais à personne: j’étais et je demeurerais toujours mon propre maître ».

Lorsqu’elle découvre qu’elle ne croit plus en Dieu, elle déclare: « La littérature m’assurerait une immortalité qui compenserait l’éternité perdue ».

 Adolescente, le sentiment qui domine chez Simone, c’est la solitude. Elle passe constamment d’un sentiment de vanité du monde, de son existence et de tout ce qu’elle pourrait y inscrire comme actions, à un grand enthousiasme. Vers l’âge de vingt ans, ne supportant plus ces états d’âme qui l’emmenaient très haut et très bas, elle arrive à une certaine stabilité.

 Elle consacre quelques belles pages à son amitié avec Zaza, qui a elle-même une destinée lourde à porter, puis l'ouvrage se clôture sur sa mort, qui dans le souvenir de Simone est liée à une forme de culpabilité : « Ensemble nous avions lutté contre le destin fangeux qui nous guettait et j’ai pensé longtemps que j’avais payé ma liberté de sa mort. »

 Intellectuellement, son parcours n’a rien à envier aux plus grands. Elle est par exemple reçue deuxième en philosophie générale, derrière Simone Weil… Elle cumulera deux années en une, histoire de hâter son indépendance. Pendant ces années d’étude, elle est admise dans le cercle très fermé composé de Sartre, Nizan et Herbaud pour préparer l’oral de philosophie. Pour comprendre l’évolution de sa relation avec Sartre, il faut lire le deuxième volet de ses mémoires: « La Force de l’âge »…

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