Une vie d'enseignement
Prisonnier en Allemagne durant quatre ans lors de la Seconde
Guerre Mondiale, il lit Karl Jaspers et traduit un livre de Husserl dans les
marges de l'ouvrage. En effet, entre temps, à Robert Dalbiez a succédé Gabriel
Marcel, qui a introduit l'étudiant à la phénoménologie (philosophie qui étudie
le phénomène, c'est-à-dire tout ce qui est vécu par l'individu dans l'instant
présent). Après la guerre, Ricoeur part enseigner à l'Université de Strasbourg,
où il succède à l'hégélien Jean Hippolyte. Il y enseigne jusqu'en 1957, date à
laquelle il commence à occuper la Chaire de philosophie générale à la Sorbonne.
Il faut attendre sept ans pour que le philosophe soit tenté par l'aventure
qu'est la création de l'université de Nanterre. Il y commence son enseignement
et en devient doyen quatre années plus tard. Mais les événements qui ont lieu
sur le campus en 1970 le troublent, lui qui a déjà été marqué par mai 68 -
d'autant plus qu'il en est la cible : il se retrouve ainsi coiffé d'une
poubelle par des étudiants gauchistes dans un couloir de l'université. Il se
retire trois ans à l'université de Louvain mais revient enseigner à Nanterre
jusqu'à sa retraite, en 1981.
La reconnaissance américaine
Mais, loin de sonner l'heure de l'oubli et du repos, la
retraite sonne plutôt celle de la consécration. Familier des séminaires à
l'Université de Chicago depuis les années 1980, il y enseigne trois ans à temps
plein et y entame une "seconde carrière". De fait, comme en témoignent
les parcours de Deleuze ou de Derrida,
les Etats-Unis sont une terre particulièrement accueillante pour les
philosophes français, lesquels y sont bien plus populaires qu'en France. C'est
donc de Chicago que le nom de Paul Ricoeur commence à prendre de l'importance.
Le séminaire qu'il anime à Paris, rue Parmentier, est bondé ; il continue en
outre d'écrire pour la revue 'Esprit', fondée par son maître et ami Emmanuel
Mounier, ainsi que pour la 'Revue de métaphysique et de morale', et est
professeur émérite à Nanterre.
Une pensée de la complexité
Initié à la phénoménologie par Gabriel Marcel, celui-ci
l'éveille également à la question religieuse - Paul Ricoeur, jeune protestant,
apprend ainsi à penser la foi avec la rigueur conceptuelle. La problématique du
mal et de la culpabilité chrétienne se retrouve très tôt dans son travail de
doctorat qu'est la 'Philosophie de la volonté', dont le premier tome, 'Le
volontaire et l'involontaire' paraît en 1949. Il faut attendre 1960 pour la
parution de 'Finitude et culpabilité',
recueil du deuxième et du troisième volet. Dans 'La métaphore vive', son
exploration de l'inconscient et de la culpabilité l'amène à se pencher sur la
psychanalyse - qu'il tente de concilier avec l'herméneutique (interprétation de
tout texte nécessitant une explication, notamment dans la critique littéraire
ou historique et dans le droit) issue de l'exégèse biblique. En 1965 paraît 'De
l'interprétation - essai sur Freud'. Si Ricoeur reste en retrait et se méfie du
mouvement structuraliste prédominant dans les années 70, il s'intéresse
néanmoins au langage, à travers la question du symbolisme. D'autant
plus qu'il est l'un des premiers à avoir entamé un dialogue avec la philosophie
analytique anglo-saxonne, notamment avec Searle ou Austin. Il s'intéresse dès
lors à la linguistique. Dans 'Temps et récit', trois volumes parus entre 1983
et 1985, il cherche une définition du sujet entre scepticisme et affirmation
dogmatique de soi. Apparaît la notion de "récit", laquelle permet de
postuler celle d' "identité narrative". En 1986, cette recherche
aboutit à 'Soi-même comme un autre', qui, comme le titre l'indique, reprend
l'idée d'un sujet se narrant lui-même. Cette recherche sur la narration
comporte naturellement une interrogation sur l'histoire - en tant que récit. En
2000, 'La mémoire, l'histoire, l'oubli' conclut cette recherche.
Un traducteur
En 2004, il écrit 'Sur la traduction', opuscule de
trois conférences sur cette problématique, telle est bien la conclusion que
l'on voudrait donner à cette vie de philosophe toute entière tournée vers la
rigueur du concept et l'exigence de la pensée, inclassable, et d'une honnêteté
intellectuelle peu commune. Ricoeur apparaît bien comme un traducteur, entre
les langues de la philosophie et de la théologie, entre celles de la
psychanalyse et de l'herméneutique, entre les différents sujets et le récit
d'eux-mêmes. Et si l'on ne se réclame pas encore d'être "ricoeurien",
c'est sans doute le - bon - signe de cette pensée complexe.
Paul Ricoeur Les sens d'une vie
Pour cette nouvelle édition, il était impératif d'actualiser
celle de 1997 car, jusqu'en 2005, Ricoeur a continué à publier des ouvrages
fondamentaux. Par ailleurs, la présente édition a bénéficié des archives du «
Fonds Paul Ricoeur ».
« François Dosse ne fait pas
seulement parler ses témoins de leur rencontre avec Ricoeur. Il leur demande
d'expliquer leur propre parcours intellectuel et politique. Il brosse ainsi le
panorama d'un demi- siècle de vie culturelle où l'oeuvre de Ricoeur apparaît
dans son originalité et sa fécondité, dans une fulgurance si difficile à
reconnaître. »
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