mardi 10 juin 2014

Paul Ricoeur: L'exigence de la philosophie

Né à Valence en 1913, Paul Ricoeur perd très tôt ses parents - son père meurt durant la Grande Guerre. Pupille de la nation, le jeune garçon est élevé par ses grands-parents dans la tradition protestante. Dès la classe de terminale, il se découvre une vocation philosophique, grâce à l'influence de son professeur Roland Dalbiez. Face à lui, écrira-t-il, il est "confronté à une exigence de rigueur conceptuelle et de courage intellectuel à laquelle il se sent redevable pour toujours." En 1935, le jeune Paul Ricoeur obtient l'agrégation et s'engage, à vie, dans le maintien de cette exigence.

 
Une vie d'enseignement

Prisonnier en Allemagne durant quatre ans lors de la Seconde Guerre Mondiale, il lit Karl Jaspers et traduit un livre de Husserl dans les marges de l'ouvrage. En effet, entre temps, à Robert Dalbiez a succédé Gabriel Marcel, qui a introduit l'étudiant à la phénoménologie (philosophie qui étudie le phénomène, c'est-à-dire tout ce qui est vécu par l'individu dans l'instant présent). Après la guerre, Ricoeur part enseigner à l'Université de Strasbourg, où il succède à l'hégélien Jean Hippolyte. Il y enseigne jusqu'en 1957, date à laquelle il commence à occuper la Chaire de philosophie générale à la Sorbonne. Il faut attendre sept ans pour que le philosophe soit tenté par l'aventure qu'est la création de l'université de Nanterre. Il y commence son enseignement et en devient doyen quatre années plus tard. Mais les événements qui ont lieu sur le campus en 1970 le troublent, lui qui a déjà été marqué par mai 68 - d'autant plus qu'il en est la cible : il se retrouve ainsi coiffé d'une poubelle par des étudiants gauchistes dans un couloir de l'université. Il se retire trois ans à l'université de Louvain mais revient enseigner à Nanterre jusqu'à sa retraite, en 1981.

La reconnaissance américaine

Mais, loin de sonner l'heure de l'oubli et du repos, la retraite sonne plutôt celle de la consécration. Familier des séminaires à l'Université de Chicago depuis les années 1980, il y enseigne trois ans à temps plein et y entame une "seconde carrière". De fait, comme en témoignent les parcours de Deleuze ou de  Derrida, les Etats-Unis sont une terre particulièrement accueillante pour les philosophes français, lesquels y sont bien plus populaires qu'en France. C'est donc de Chicago que le nom de Paul Ricoeur commence à prendre de l'importance. Le séminaire qu'il anime à Paris, rue Parmentier, est bondé ; il continue en outre d'écrire pour la revue 'Esprit', fondée par son maître et ami Emmanuel Mounier, ainsi que pour la 'Revue de métaphysique et de morale', et est professeur émérite à Nanterre.

Une pensée de la complexité

Initié à la phénoménologie par Gabriel Marcel, celui-ci l'éveille également à la question religieuse - Paul Ricoeur, jeune protestant, apprend ainsi à penser la foi avec la rigueur conceptuelle. La problématique du mal et de la culpabilité chrétienne se retrouve très tôt dans son travail de doctorat qu'est la 'Philosophie de la volonté', dont le premier tome, 'Le volontaire et l'involontaire' paraît en 1949. Il faut attendre 1960 pour la parution de  'Finitude et culpabilité', recueil du deuxième et du troisième volet. Dans 'La métaphore vive', son exploration de l'inconscient et de la culpabilité l'amène à se pencher sur la psychanalyse - qu'il tente de concilier avec l'herméneutique (interprétation de tout texte nécessitant une explication, notamment dans la critique littéraire ou historique et dans le droit) issue de l'exégèse biblique. En 1965 paraît 'De l'interprétation - essai sur Freud'. Si Ricoeur reste en retrait et se méfie du mouvement structuraliste prédominant dans les années 70, il s'intéresse néanmoins au langage, à travers la question du symbolisme. D'autant plus qu'il est l'un des premiers à avoir entamé un dialogue avec la philosophie analytique anglo-saxonne, notamment avec Searle ou Austin. Il s'intéresse dès lors à la linguistique. Dans 'Temps et récit', trois volumes parus entre 1983 et 1985, il cherche une définition du sujet entre scepticisme et affirmation dogmatique de soi. Apparaît la notion de "récit", laquelle permet de postuler celle d' "identité narrative". En 1986, cette recherche aboutit à 'Soi-même comme un autre', qui, comme le titre l'indique, reprend l'idée d'un sujet se narrant lui-même. Cette recherche sur la narration comporte naturellement une interrogation sur l'histoire - en tant que récit. En 2000, 'La mémoire, l'histoire, l'oubli' conclut cette recherche.

 
Un traducteur

 
En 2004, il écrit 'Sur la traduction', opuscule de trois conférences sur cette problématique, telle est bien la conclusion que l'on voudrait donner à cette vie de philosophe toute entière tournée vers la rigueur du concept et l'exigence de la pensée, inclassable, et d'une honnêteté intellectuelle peu commune. Ricoeur apparaît bien comme un traducteur, entre les langues de la philosophie et de la théologie, entre celles de la psychanalyse et de l'herméneutique, entre les différents sujets et le récit d'eux-mêmes. Et si l'on ne se réclame pas encore d'être "ricoeurien", c'est sans doute le - bon - signe de cette pensée complexe.


Paul Ricoeur Les sens d'une vie

 Maître à penser plus que maître penseur, Paul Ricoeur a produit des travaux devenus source majeure d'inspiration dans les domaines les plus divers. François Dosse en propose une biographie intellectuelle qui entend rendre justice à ce grand penseur, dont l'oeuvre se situe à la croisée de la tradition réflexive française, de la philosophie dite continentale et de la philosophie analytique. Grâce à une vaste enquête auprès de cent soixante-dix témoins et une étude fouillée de l'oeuvre, l'auteur retrace la cohérence du parcours de sa pensée et ses rebondissements multiples, au gré des sollicitations de l'actualité.

 La passion qui anime cet ouvrage ne vise pas à ériger une nouvelle statue de commandeur. L'auteur entend simplement faire partager le don de soi de Paul Ricoeur, source d'une sagesse communicative. Ce parcours est une invitation à ne pas céder au scepticisme et au cynisme, et à retrouver les voies de l'espérance par une mémoire toujours retravaillée.

Pour cette nouvelle édition, il était impératif d'actualiser celle de 1997 car, jusqu'en 2005, Ricoeur a continué à publier des ouvrages fondamentaux. Par ailleurs, la présente édition a bénéficié des archives du « Fonds Paul Ricoeur ».
« François Dosse ne fait pas seulement parler ses témoins de leur rencontre avec Ricoeur. Il leur demande d'expliquer leur propre parcours intellectuel et politique. Il brosse ainsi le panorama d'un demi- siècle de vie culturelle où l'oeuvre de Ricoeur apparaît dans son originalité et sa fécondité, dans une fulgurance si difficile à reconnaître. »

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